Lee Van Cleef a écrit :Dis-nous en plus, mon cher Janus, sur ce Canossa qui semble te faire tant saliver. Te connaissant, il doit probablement s'agir d'une de ces musiques qui donnent l'impression de doigts recourbés en pinces et griffant hargneusement un tableau noir.
Ce qui excite mon imaginaire dans
CANOSSA, mon bon vieux Lee, ce sont tout d'abord les orchestrations - bien que sur ce plan-là, Bruno Nicolai m'impressionne assez rarement - mais, pour le coup, j'en ai adoré l'association de l'orgue, des cuivres et des percussions. L'orgue y joue un rôle formidable sur une tonalité que j'apprécie beaucoup. Il apporte une véritable profondeur à une partition âpre et chaotique, faite de rythmes tribaux et obsessionnels. Les plages 19,20, 26, 29 et surtout 31 sont sans doute mes préférées dans l'expression de ce "chaos sonore" parfaitement organisé. Sans aller jusqu'à réduire cette musique à des crissements de craies sur un tableau, mon cher Lee, elle est cependant peu propice à la concession... Elle est l'illustration intense du chaos, d'une humanité exsangue et ensevelie sous les décombres d'un monde qui n'en est plus un, ce qui n'empêche en rien, pour l'auditeur que je suis, une proximité avec chacun des instruments principaux qui martèle inlassablement le cri sourd du néant. Ils résonnent dans une tête qui ne raisonnent plus mais se laisse définitivement convaincre par l'expression du chaos. L'association de l'orgue et des cuivres dans un tel registre, que je qualifierais presque de "cataclysmique", m'a souvent été d'un effet troublant. Je pense à deux autres oeuvres de cet effectif qui, certes, ont peu à voir avec le cinéma mais me bouleversent à chaque nouvelle écoute. Il s'agit de
Hymnes de silence pour orgue et orchestre du compositeur suisse
Norbert Moret et des
Trois visions de l'apocalypse avec orgue et cuivres du compositeur français
Jacques Castérède. Les éléments s'y déchaînent dans une superbe et indescriptible expression du chaos, même si leur style respectif est très différent de celui de
Bruno Nicolai. Dans
Canossa, l'auditeur chahuté, décomposé, peut-être essoufflé comme peut l'être un enfant courant sous une tempête, s'accrochera volontiers à la fibre d'une magnifique respiration mélodique (plage 25), forte de passion, comme si l'humanité toute entière reprenait vie et souffrance au travers de ce formidable chant d'amour.