UnderScores se propose de dessiner dans cette série les portraits de 50 maîtres de la musique de film, de la glorieuse génération des compositeurs hollywoodiens du passé à ceux d’une époque plus récente, sans négliger les grandes figures de la nouvelle vague européenne. Bien sûr, c’est aussi l’occasion d’aborder des personnalités plus atypiques, loin du feu des projecteurs, mais qui se révèlent tout aussi indispensables.
« Vous savez, il existe de nombreuses règles en matière d’écriture classique et « archéologiques ». Ces règles, je ne les connais pas et pire, je n’ai aucune envie de les connaître. Cela me procure cette liberté, cette envie de faire autre chose, pas forcément anti-conventionnel, mais avant tout de créer ma propre chorégraphie d’une époque avec mes acquis et mes citations. »
Hans Zimmer
Hans Zimmer est un enfant de son époque. Claviériste autodidacte issu de la musique rock, il va bousculer les règles préétablies de la musique de film. Très direct, son style se caractérise par une rythmique percutante et des mélodies efficaces aux textures simples qui s’accordent parfaitement aux effets sonores des films d’action et de divertissement. Il a toujours voulu repousser les limites de ce que la technologie pouvait faire en matière de musique de film. Faire coexister l’orchestre, le chœur, l’électronique, le sample ou les instruments traditionnels dans une structure musicale unifiée et cohérente. Chez lui, les instruments de l’orchestre sont régulièrement doublés par des sonorités synthétiques enveloppantes qui créent une sorte de « mur sonore » spectaculaire. Désormais, la musique symphonique doit cohabiter avec l’énergie de la techno, du rock moderne et de la chanson de variété (répétition des même accords, manque de complexité orchestrale, pulsation agressive, recours systématique aux ostinatos minimalistes…) En privilégiant le son sur la forme musicale, Hans Zimmer a introduit un nouveau standard à hollywood. Dès lors, certains exégètes vont lui reprocher d’appauvrir le langage traditionnel de la musique de film. Ils n’ont pas tout à fait tort mais pas entièrement raison non plus. À y regarder de près, son cas est plus complexe qu’il n’y paraît. Il y a bien un « son Zimmer », comme il pouvait y avoir à une autre époque un « son Korngold » ou un « son Herrmann ». Avec son studio Media Ventures, il a d’ailleurs mis sur pied un véritable pool de compositeurs œuvrant dans un style identique au sien, déclinable à l’infini. Une formule empirique et redondante mais tournée aussi vers la modernité et les nouvelles technologies. Aujourd’hui encore, depuis près de quarante ans, Hans Zimmer continue toujours de régner en maître sur le monde de la musique de film.
Hans Florian Zimmer est né à Francfort-sur-le-Main d’une mère musicienne et d’un père ingénieur. Cette double filiation à la fois musicale et technologique va être fondamentale pour le développement de sa carrière. Sans même connaître les expérimentations de John Cage, il tâtonne déjà sur le piano de sa mère qu’il s’empresse de « préparer », en posant des objets sur les cordes. Il n’est âgé que de six ans lorsque son père décède brutalement. La musique devient alors pour lui une échappatoire. Il se réfugie dans la musique car la seule chose qui rend sa mère heureuse est de le voir jouer du piano. Il reçoit des cours de solfège mais, rebelle à toute forme d’éducation musicale, qui lui impose de jouer la musique des autres et non celle qu’il a en tête, il ne tient pas plus de deux semaines. L’approche autoritaire typiquement allemande ne convient d’ailleurs pas au tempérament bouillonnant du jeune Hans. Il est renvoyé de plusieurs écoles et sa mère finit par s’exiler avec lui en Angleterre pour l’inscrire dans un lycée aux méthodes plus progressistes. Durant un cours, il s’enthousiasme sur le fameux Switched-On Bach de Wendy Carlos. Mais c’est surtout la découverte au cinéma de C’era una Volta il West (Il était une fois dans l’Ouest) et sa musique légendaire signée Ennio Morricone qui va décider de sa vocation de compositeur de film.
Hans Zimmer profite de l’effervescence musicale londonienne de cette période. Au départ, il débute comme programmeur de musique électronique pour des jingles publicitaires et joue en parallèle du synthétiseur (notamment du Prophet 5) dans diverses formations obscures comme Krakatoa, Krisma ou The Helden. En 1979, il intègre en tant que claviériste The Buggles, groupe de synthpop et participe au tube Video Killed The Radio Star. Un titre historique, réputé aussi pour avoir été le tout premier vidéo-clip diffusé par la chaîne MTV. On peut d’ailleurs apercevoir Zimmer furtivement devant un synthétiseur, en habit noir, à la fin de la vidéo. Entre 1979 et 1983, il participe à plusieurs projets discographiques dont un avec Michel Polnareff (l’album Bulles). Il côtoie la scène new-wave anglaise, joue en live avec le groupe espagnol Mecano et va même jusqu’à produire les punks de The Damned (le single History Of The World). L’un de ses projets les plus prometteurs sera avec Zaine Griff et Ronny (la chanteuse de Blue Cabaret) mais la collaboration tournera court. À cette époque, Zimmer commence à s’entourer d’un vaste appareillage électronique comprenant plusieurs synthétiseurs analogiques et un impressionnant meuble sonore constitué d’un moog modulaire avec séquenceurs et armoires Roland System 700. Un engin énorme appartenant à Christopher Franke, de Tangerine Dream, qu’il ramène de Berlin, non sans mal. Aujourd’hui encore, l’objet trône toujours aussi fièrement dans son studio actuel de Santa Monica.
Chez la compagnie de production sonore Air-Edel Associates, il fait la connaissance de Stanley Myers. Un compositeur de musique de film connu principalement pour sa fameuse Cavatina pour guitare, utilisée dans le film The Deer Hunter (Voyage au Bout de l’Enfer). À première vue, la collaboration entre les deux hommes peut sembler improbable. Mais Myers est éclectique, passant avec une aisance déconcertante d’un film de Volker Schlöndorff à une série B d’épouvante. Il a en plus déjà tâté de l’électronique (Sitting Target, L’Amant de Lady Chatterley ou The Martian Chronicles) mais sa technique est limitée. Zimmer, qui maîtrise parfaitement le domaine, se révèle un allié idéal. Pour lui, c’est également un atout car l’expérience de Myers lui permet d’assimiler rapidement les bases du métier. À la fin des années 70, le synthétiseur analogique déferle peu à peu sur les écrans. Des partitions comme Assault On Precinct 13 (1976) de John Carpenter, Sorcerer (1977) de Tangerine Dream et surtout Midnight Express (1978) de Giorgio Moroder, vont redéfinir le langage de la musique de film des années 80. Les sonorités électroniques vont être de plus en plus recherchées par les producteurs et les réalisateurs de films (elles le sont aussi pour des raisons de coût). Zimmer, qui ne cherche absolument pas à s’adapter au langage musical traditionnel mais plutôt à le renouveler par le prisme synthétique, est l’homme du moment.
Ses premiers travaux au cinéma s’apparentent plus à du sound design. Avec Moonlighting (Travail au Noir – 1982) de Jerzy Skolimowski, film sombre sur la condition ouvrière, il impose sa griffe dès le générique en créant un bourdonnement électronique sombre qui plonge d’emblée le spectateur dans un environnement social angoissant. C’est aussi lui qui créé les sonorités synthétiques sur Eureka (1983) de Nicolas Roeg, lorsque Gene Hackman découvre un gisement d’or. Le réalisateur lui avait alors demandé de créer une sonorité particulière, une sorte de cri jaillissant des tréfonds de la terre, comme si elle venait d’être violée. Au cours de ces années, le matériel accumulé par Zimmer commence à devenir de plus en plus envahissant. Il décide alors avec Stanley Myers de créer le Lillie Yard Studio, un espace de création où les percussions synthétiques, l’ordinateur et les claviers vont pouvoir se marier idéalement avec l’écriture classique. Ils achètent toute une série de Fairlight (instrument moderne très répandu dans le milieu de la pop), des boites à rythmes, un système midi avancé et les meilleurs synthétiseurs de l’époque comme le Roland Super Jupiter ou l’Oberheim Xpander multi-timbral. Mais les projets à venir ne vont pas se révéler à la hauteur de leurs attentes. Sur le film érotique Histoire d’O n°2 (1984) d’Éric Rochat, Zimmer aura néanmoins l’occasion de composer quelques pistes musicales de son cru, notamment sur quelques parties fines, mais tout cela est bien maigrichon. Le film suivant de Skolimowski, Success Is The Best Revenge (Le Succès à tout Prix – 1984) lui offre davantage de possibilités expressives. Par moment on n’est pas loin des ambiances envoûtantes de Tangerine Dream ou d’une certaine techno pop allemande des années 70. Zimmer reprend également au synthé le Deus Irae, un thème médiéval qui l’a toujours fasciné. Il le réutilisera par la suite sur plusieurs scores de manière souvent détournée. Skolimowski est un adepte de l’expérimentation sonore et l’encourage à œuvrer dans cette voie là. Aujourd’hui encore, il se vante non sans ironie d’avoir été à l’origine de sa carrière hollywoodienne.
Au fur et à mesure des films, la contribution de Zimmer devient de plus en plus imposante, ravalant presque Stanley Myers au rang de faire valoir. On perçoit déjà assez bien sa patte stylistique sur le thème générique de Lightship (Le Bateau Phare – 1985), avec l’utilisation de la guitare électrique. Tout comme le final « explosif » de Insignificance (Une Nuit de Réflexion – 1985) qui a recours à de longues nappes de synthétiseurs. C’est également Zimmer qui élabore les bruitages aquatiques rigolos entendus dans la laverie de My Beautiful Laundrette (1985) de Stephen Frears. Avec le slasher The Zero Boy (1986), Zimmer et Myers entament un partenariat avec le grec Nico Mastorakis, un réalisateur médiocre de séries Z, d’action et d’épouvante. Si les thèmes mélodiques demeurent encore assez impersonnels, Zimmer peut surtout donner libre cours à sa fantaisie bruitiste. Le lyrisme raffiné si caractéristique de l’écriture de Myers se retrouve ainsi littéralement écrasé par l’envahissant barnum synthétique déployé par l’allemand. Sur le thriller d’épouvante The Wind (Vent de Folie – 1986) l’influence des Goblin ou de Trevor Jones (Runaway Train) est assez manifeste. On notera également un titre disco assez pêchu dans le style de Moroder (Cassette Player Source), peut-être l’une des mélodies les plus marquantes du Zimmer de cette période. On remarque surtout qu’il n’est pas tellement à l’aise avec le répertoire de l’épouvante. Il le démontrera d’ailleurs par la suite sur un score comme The Ring (Le Cercle 2002), assez impersonnelle. Las, Stanley Myers finit par jeter l’éponge sur Terminal Vacation (Meurtre dans l’Objectif – 1987), laissant Zimmer seul aux commandes sur cette comédie ringarde. L’une de leurs dernières collaborations est Paperhouse (1988), le film fantastique psychologique de Bernard Rose, une semi-réussite tant sur le plan musical que cinématographique. Stanley Myers est une nouvelle fois en retrait et le style de Zimmer de plus en plus massif et varié (notamment sur le générique de fin) commence à se profiler. L’anglais se révèle plus à son aise sur les films de Nicolas Roeg comme Castaway (L’île des Passions – 1986) aux couleurs musicales plus impressionnistes. Il restera d’ailleurs fidèle à ce dernier jusqu’à la fin de sa vie.
Hans Zimmer est quant à lui de plus en plus accaparé par les projets ambitieux. Dans son studio, il s’occupe de la programmation des Fairlight pour la musique de The Last Emperor (Le Dernier Empereur) écrite par Ryuichi Sakamoto. Stanley Kubrick lui propose même d’être son secrétaire musical sur Full Metal Jacket, mais la collaboration tournera court. Zimmer a déjà l’âme d’un compositeur et non celle d’un simple exécutant. En 1988, il est approché par Sarah Radclyffe, la productrice de Stephen Frears. Elle lui apporte un projet d’envergure : A World Apart (Un Monde à Part), un drame dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, vu par les yeux d’une enfant de onze ans. Il compose un score principalement synthétique avec un travail sur les samples et les percussions électroniques assez développé. C’est de loin sa partition la plus personnelle des années 80. Celle aussi qui va lui ouvrir les portes d’Hollywood. Sur le générique de fin, on notera en particulier les rythmes synthétiques qui accompagnent le chant traditionnel africain Zithulele Mama, un protest song émouvant, interprété à l’origine par les ouvriers noirs du sud de l’Afrique. Quatre ans après, avec la collaboration du chanteur sud-africain Lebo M, il va composer la musique d’un autre film sur l’apartheid : The Power Of One (La Puissance de l’Ange – 1992), une partition moins synthétique qui fait la part belle aux rythmes africains et aux chants en langue zoulou et sesotho. Ce film et sa bande originale ont eu un certains impact en Afrique du Sud. Zimmer à même été mis sur une liste noire et interdit de séjour pour cause de subversion. L’une de ces chansons, The Rainmaker, incitera les producteurs de Walt Disney à le recruter pour la musique de The Lion King (Le Roi Lion – 1994). Beaucoup d’auditeurs pensent que Zimmer entretien un lien profond avec l’Afrique mais en fait il s’agit plus d’un enchaînement de circonstances. Un peu comme Maurice Jarre qui après Lawrence of Arabia était très demandé pour mettre en musique des films situés dans le désert.
C’est avec Rain Man (1989) de Barry Levinson que Hans Zimmer atteint la consécration. Emballé par A World Apart, le réalisateur américain fait le voyage jusqu’à Londres pour lui proposer le film. Hans, qui était alors en train de travailler pour une publicité sur du dentifrice, n’hésite pas longtemps. Il laisse tous ses projets en plan et débarque à Hollywood. Pour évoquer l’autisme du personnage interprété par Dustin Hoffman, il crée une palette sonore exotique (flûte de pan, didgeridoo, koto japonais) qui renvoie à un monde intérieur imaginaire. La musique est essentiellement électronique, créée avec le Fairlight CMI, des samples et des percussions synthétiques. La direction musicale qu’emprunte Zimmer est résolument new wave, notamment sur la séquence de jeu à Las Vegas, où l’on perçoit l’influence des Sisters of Mercy (la chanson This Corrosion). Dès lors on comprend mieux le succès de l’allemand qui va complètement redéfinir le son hollywoodien des années 90 en s’éloignant du style symphonique traditionnel. Preuve en est la partition rejetée de Georges Delerue pour Regarding Henry (À Propos d’Henry – 1991) qui lui revient. Ce n’est pas que la partition du roubaisien soit mauvaise, mais elle reste trop attachée à une esthétique musicale typique des années 60. Ce film va permettre aussi à Zimmer de développer une approche plus intimiste et moins marquée par les sonorités synthétiques, que ce soit par exemple dans la pièce pour piano Asking You, composée pour la comédie romantique Green Card (1990), le très orchestral Fools Of Fortune (1990) et surtout As Good As It Gets (Pour le Pire et pour le Meilleur – 1997), Surprenante partition écrite pour une formation de chambre, dans lequel le style survitaminé si caractéristique de l’allemand est ici totalement absent. Sur True Romance (1993), Zimmer va également s’effacer en s’inspirant du Gassenhauer de Carl Orff écrit pour marimba, un thème léger et sautillant, qui provient à l’origine d’une pièce du 16ème siècle composée par Hans Neusidler. Il serait tentant d’accuser Zimmer de plagiat, mais on pourrait aussi lui rendre grâce d’avoir perpétué l’héritage de ce fameux thème qui plus de quatre siècles après, continue toujours de charmer l’oreille des auditeurs.
La fin des années 80 marque aussi une collaboration durable avec le réalisateur Ridley Scott. C’est lui qui va imposer le « son Zimmer » comme un élément de la matrice des films d’action sur les décennies à venir. L’anglais ne fait pas toujours dans la finesse mais il possède un sens très aigu de l’esthétique visuelle et sonore. Son chef-d’œuvre reste sans nul doute le film de science-fiction Blade Runner (1982). Sa bande son futuriste composée par Vangelis a toujours été une référence pour Hans Zimmer. Il va lui-même tenter de retrouver cet effet de réverbération énorme et enveloppant qui imprègne la plupart des morceaux. Sur le médiocre Black Rain (1989), on n’y est pas encore. Les passages synthétiques paraissent aujourd’hui assez datés, en particulier l’imitation des sonorités asiatiques et surtout ce thème mélodique assez grossier inspiré du Furyo de Sakamoto. Le mélange entre orchestre et rythmes électroniques se révèle en revanche plus intéressant et annonce les ambiances sombres et pulsatives de la trilogie des Batman (Charlie Loses His Head). C’est là que l’apport des orchestrateurs (ici Shirley Walker, plus tard Bruce Fowler) va se révéler primordial. Dans le domaine symphonique, Zimmer aura l’intelligence de connaître ses limites en s’entourant de toute une armada de musiciens, d’ingénieurs du son, de programmeurs et de compositeurs additionnels, tous chargés de l’assister et de suppléer à ses déficiences. En 1989, il va ainsi fonder avec Jay Rifkin, un ami de jeunesse, le studio d’enregistrement Media Ventures (qui deviendra en 2003 Remote Control Productions à la suite d’une bagarre juridique entre les deux), une société spécialisée dans les musiques de film, véritable usine tentaculaire, où Zimmer semble parfois agir davantage comme producteur exécutif et coordinateur que comme compositeur. En plein milieu du complexe se trouve son studio personnel, un lieu au décorum superbe, à la fois moderne et chargé d’histoire, qui invite à l’exploration musicale.
Black Rain a séduit le réalisateur Ron Howard qui demande la même chose sur Backdraft (1991). Bénéficiant d’un grand orchestre et même d’un chœur, Zimmer délivre une partition musclée et emphatique, aux harmonies simples, semblable à un hymne patriotique. C’est ce type de musique héroïque typiquement américaine qui va désormais faire autorité sur la majorité des films d’action de cette époque. En 1995, Crimson Tide (USS Alabama – 1995) enfonce le clou. C’est la partition qui abrite de manière significative l’affirmation de son style, alliant flamboiement et faste (le thème principal entretien un certain lien de parenté avec celui de Klaus Doldinger composé pour Das Boot en 1981, une musique de film qui mélange assez brillamment le synthétiseur à l’orchestre.) L’utilisation d’un chœur masculin, plus apaisé, va apporter un contrepoint affectif aux scènes d’actions. Un effet que Zimmer réutilise sur Peacemaker (Le Pacificateur – 1997). Sur ce genre de films, Zimmer s’appuie beaucoup sur la résurgence d’un thème principal facile à retenir, le reste de la partition étant souvent beaucoup plus descriptif. La musique du film d’action The Rock (1996) fonctionne de cette manière. Zimmer se contente surtout d’écrire la mélodie principale et c’est ensuite les membres de son studio, Nick Glennie-Smith et Harry Gregson-Williams, qui s’occupent des musiques additionnelles. Dans le cinéma, il y a toujours eu des assistants qui travaillent dans l’ombre mais Zimmer, lui, ne les a jamais cachés. Il va d’ailleurs co-écrire avec Harry Gregson-Williams la partition de Frøken Smillas Fornemmelse for Sne (Smilla – 1996) du danois Bille August, une composition atmosphérique où son style bombastique habituel est ici largement en retrait. Le thème principal de Broken Arrow (1996) est également surprenant. Zimmer tente ici de renouveler son style qui commençait à devenir redondant. La mélodie, assez ironique, reste typiquement américaine avec cet emploi décalé de la guitare baryton qui renvoie à la surf music des sixties. Par la suite, le morceau sera réutilisé pour caractériser le personnage de Dewey Riley (David Arquette) dans le film Scream II (1997).
Dans les musiques de Hans Zimmer, on retrouve aussi l’héritage morriconien dans la participation active des musiciens solistes. Zimmer se réfère d’ailleurs à La Marche des Mendiants de Giù la Testa (Il était une fois la Révolution), une pièce cocasse interprétée par une grande variété d’instruments. C’est ainsi que l’on retrouve le guitariste Jeff Beck dans Days Of Thunder (Jours de Tonnerre – 1990) ou le saxophoniste jazzy Gene Cipriano sur Pacific Heights (Fenêtre sur Pacifique – 1990). Avec Thelma & Louise (1991) c’est la guitare électrique envoûtante de Pete Haycock qui renforce l’aspect émotionnel du film. Dans le mariage guitare/synthétiseur, on perçoit assez bien l’influence des Pink Floyd et de son guitariste attitré David Gilmour, un groupe que Zimmer a toujours apprécié. On retrouve Haycock sur le documentaire K2 (K2, l’Ultime Défi – 1991) ainsi que dans Thunderbirds (Les Sentinelles de l’air – 2004). Sur plusieurs films, Zimmer a également collaboré étroitement avec Richard Harvey, compositeur instrumentiste très doué qui joue notamment de la flûte sur Burning Secret (1988), Radio Flyer (La Grande Idée – 1992) ou encore Beyond Rangoon (Rangoon – 1995). En 2015, ils vont même collaborer ensemble sur le film d’animation Le Petit Prince, réalisé par Mark Osborne.
Sur The Lion King (Le Roi Lion – 1994), Zimmer a créé une partition évocatrice de l’Afrique du sud en intégrant des chants et des instruments exotiques. Le succès du film sera énorme et va le propulser au rang des compositeurs majeurs d’Hollywood. Cette histoire de jeune prince qui a perdu très tôt son père lui parle directement. Fait inhabituel, il va alors imposer sur l’ouverture du film (The Circle Of Life), une composition musicale de quatre minutes alors que Disney lui avait initialement demandé une trentaine de secondes. L’apport d’Elton John, qui compose la mélodie, et aussi de Lebo M, va être déterminant dans la réussite du morceau. C’est ce dernier qui entonne le fameux chant en dialecte xhosa (Nants’ Ingonyama) en ouverture du film. Zimmer a surtout composé la musique qui accompagne la mort de Mufasa, le père de Simba, emporté par un troupeau de gnous : une sorte de requiem fortement influencé par la musique sacrée de Mozart (en particulier le Lacrimosa ou l’Ave Verum Corpus). Hans Zimmer reprend en fait la méthode de James Horner, qui consiste à décalquer (parfois assez grossièrement), une partition classique ou contemporaine. Si cette méthode a toujours été pratiquée dans la musique de film, on peut dire que James Horner en aura été l’un des plus fidèles représentants.
Dans Gladiator (2000), Hans Zimmer utilise également des références explicites à la musique des Planètes de Gustav Holst (The Battle), de l‘Or du Rhin et de Siegfried de Richard Wagner (The Might Of Rome), ainsi que la Troisième Symphonie d’Henryk Górecki (Am I Not Merciful?) De façon générale, il fait souvent allusion à la musique allemande et autrichienne dans ses compositions. Sur le titre Gap du film X-Men: Dark Phoenix (2019), on peut par exemple déceler un emprunt au second mouvement du Requiem Allemand de Brahms, revu ici à la sauce électro. C’est encore dans le pastiche décomplexé que Zimmer s’avère le plus convaincant, comme cet arrangement de l’Ouverture de Guillaume Tell sur The Lone Ranger (Lone Ranger, Naissance d’un Héros – 2013) ou ce fameux thème des Walkyries joué au banjo dans Rango (2011). Hans Zimmer possède en réalité une culture musicale classique assez solide qui lui vient directement de sa mère, pianiste de formation. À cinq ans, elle lui faisait chanter La Truite de Schubert et l’amenait régulièrement aux concerts ou à l’opéra. Il rendra également un hommage non dissimulé à Gustav Mahler (Adagietto de la 5ème Symphonie) sur la partition d’Hannibal (2001), un compositeur qu’il a toujours affectionné. En terme d’effectif, il considère notamment sa Seconde Symphonie « Résurrection » comme un modèle d’architecture sonore (celle-là même qui avait fait fuir Claude Debussy lors de la première parisienne).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Zimmer n’est d’ailleurs pas un adepte du tout électronique et déteste imiter les instruments de l’orchestre au synthétiseur. Par exemple, ce sont bien de véritables flûtes ethniques que l’on entend sur la musique de The Last Samourai (Le Dernier Samouraï – 2003), où elles sont jouées par les solistes Bill Schultz et Fred Selden. Une des rares exceptions sera la musique de Driving Miss Daisy (Miss Daisy et son Chauffeur – 1989), entièrement synthétique. Mais sinon, un instrumentiste est toujours convié aux sessions d’enregistrement. Avec Sherlock Holmes (2009) de Guy Ritchie, Zimmer à tenté une approche décalée et inspirée en incluant un banjo, des violons grinçants, un cymbalum et la sonorité déglinguée d’un piano bastringue. Il définit lui-même cette partition comme la rencontre improbable des Pogues (groupe de folk rock irlandais) et d’un orchestre roumain. Sur Pirates Of The Caribbean: On Stranger Tides (Pirate des Caraïbes : la Fontaine de Jouvence – 2011), ce sont les guitaristes Rodrigo y Gabriela qui apportent une touche de légèreté hispanisante à cette grosse machine hollywoodienne. Notons aussi la participation euphorisante du trompettiste de jazz cubain Arturo Sandoval dans No Time To Die (Mourir Peut Attendre – 2021), sur le titre Cuba Chase. Zimmer a également convié des musiciens issus du répertoire classique comme le violoncelliste Anthony Pleeth dans Gladiator (2000) ou le violoniste Joshua Bell sur Angels And Demons (Anges et Démons – 2009).
Avec le studio Dreamworks, Hans Zimmer participe à un nouveau film d’animation musical important : The Prince Of Egypt (Le Prince d’Égypte – 1998). La musique qui accompagne les chansons de Stephen Schwartz reste assez efficace sur certaines séquences, comme celle très mélodieuse du Buisson Ardent (The Burning Bush). Le score de The Lion King attire l’attention du réalisateur Terrence Malick, qui le contacte pour mettre en musique The Thin Red Line (La Ligne Rouge – 1997), un film de guerre métaphysique sur la bataille de Guadalcanal, dans les îles du Pacifique. Le film, à la réalisation très maîtrisée, se présente comme une sorte de poème visuel et sonore truffé de monologues intérieurs. Cette esthétique contemplative a beaucoup influencé la création de la bande originale. La partition de Zimmer se marie à l’univers sonore du film, constitué de chants mélanésiens, d’œuvres classiques (le Sanctus du Requiem de Fauré, The Unanswered Question de Charles Ives) et de musiques expérimentales créées par Francesco Lupica. On voit tout de suite que Malick est intéressé par l’atmosphère méditative de la musique minimaliste. Il n’a d’ailleurs conservé que la partie la plus tonale du morceau de Ives. C’est surtout la musique de l’estonien Arvo Pärt, un compositeur mystique, plutôt discret, édité confidentiellement par le label ECM, qui va servir de référence. Après le sucés du film, sa musique va devenir de plus en plus utilisée par les réalisateurs, à tel point qu’elle finira même par se banaliser. En ouverture du film, Malick utilise les premiers accords spectraux de son Annum per Annum, pour orgue d’église. Une manière de donner le ton musical du film en plongeant le spectateur dans un environnement sonore engloutissant.
En mettant en avant la harpe, les cordes et de sourdes percussions, Zimmer va créér une musique de nature psychologique, traduisant davantage un état mental qu’une action guerrière, un peu sur le modèle de l’Adagio pour Cordes de Barber dans Platoon. Sur un titre comme Light, on pense en particulier au Cantus in Memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt, avec ses longues tenues de cordes extatiques. Ce tapis sonore d’abord très lyrique mais qui enfle progressivement tout en se répétant inlassablement va d’ailleurs servir de matrice au superbe Journey To The Line, le titre le plus important du film. L’élaboration de ce long morceau est au départ assez laborieux. Zimmer a écrit un thème construit sur une mélodie toute simple. Malick l’a d’abord rejeté, arguant du fait que personne ne s’en souviendrait. Il voulait vraiment quelque chose de mémorable. Zimmer a donc dû réécrire de nouveaux thèmes. Deux mois après, Malick revient le voir, enthousiaste : « Qu’est-ce que c’est que cet air là que j’ai dans la tête ? Il conviendrait parfaitement au film ». « C’est le thème dont tu disais que personne ne s’en souviendrait », lui rétorque Zimmer. Cette mélodie sombre et intérieure, faite d’enchaînements parallèles est jouée principalement par des cordes graves. Le morceau est rythmé par une battue métronomique, similaire à un cliquetis d’horloge qui amène un sentiment d’angoisse, comme une impression immuable de fatalité (ce rythme d’horlogerie est d’ailleurs un procédé musical régulièrement utilisé par Zimmer en particulier sur Interstellar (2014), un film de science-fiction où le temps joue un élément essentiel).
La puissance dramatique du thème culmine lors de l’attaque du village japonais par les troupes américaines. Zimmer double la section des cuivres par des nappes synthétiques, dans le style emphatique des grandes architectures sonores de Vangelis (on pense au superbe End Title de Blade Runner, un morceau qui aura toujours exercé une fascination tenace sur l’allemand. Il y fait clairement référence sur la bande son d’Inferno (2016), avec le titre Remove Langdon). Zimmer emploie ici la technique de la sub-bass, qui consiste à renforcer le grave et le bas médium de l’orchestre avec des synthétiseurs. Avec le recul, on s’aperçoit que Journey To The Line reste l’une de ses compositions les plus emblématiques, celle qui définit le mieux la quintessence de son style. Plusieurs compositeurs de musique de film, souvent à la demande des réalisateurs, ne vont d’ailleurs pas hésiter à s’inspirer de ce thème. C’est le cas par exemple de John Murphy (Sunshine – 2007), Elliot Goldenthal (Public Enemy – 2009), Harry Escott (Shame – 2011) ou Henry Jackman (un élève de Zimmer) avec Captain Phillips (2013). Dans Star Wars – Episode III : Revenge Of The Sith (2005), John Williams lui-même y fera une allusion assez subtile sur le morceau Anakin’s Betrayal. Zimmer n’a pas hésité non plus à retransposer son propre thème sur d’autres films comme Black Hawk Down (2001), Twelve Years A Slave (2013) ou Inception (2010) (avec le morceau Time). Un titre comme Chevaliers de Sangreal, composé pour Da Vinci Code (2006) reprend également cette même progression pyramidale par couches sonores, autour d’un simple et même accord. Par ailleurs, cette musique de film, souvent envoûtante et fortement teintée d’atmosphère liturgique sera également influencée par la musique religieuse des compositeurs minimalistes comme Arvo Pärt ou Henryk Górecki.
En 2000, Ridley Scott fait un retour remarqué en relançant le genre du péplum avec Gladiator. Les sonorités synthétiques sont moins présentes et laissent la place à un orchestre massif et des instruments traditionnels comme le duduk ou la guitare espagnole. Battle illustre la puissance militaire romaine et les grandes batailles épiques. C’est le titre le plus spectaculaire mais dans l’ensemble, Zimmer a volontairement minimisé les fanfares de cuivres si courantes dans les péplums hollywoodiens. Sa musique est plus ethnique et méditative, proche par moment du requiem funèbre, comme par exemple sur la scène où Commode étouffe Marc Aurèle. Le thème principal du film (Honor Him) qui accompagne la destinée tragique de Maximus (Russell Crowe) est une belle réussite malgré la simplicité de sa ligne mélodique. Son caractère lancinant renvoie à la forme de l’aria de la musique baroque italienne (la structure du morceau est d’ailleurs assez similaire à l’air Dal Tuo Rigor de la cantate Sopra l’Orme d’Irene d’Antonio Maria Bononcini). Le thème est également repris par Lisa Gerrard sur le générique de fin. Sa voix haute et tragique apporte au film un véritable impact émotionnel (la chanteuse australienne est issue du groupe Dead can Dance, et avait déjà fait sensation sur le court-métrage polonais Robak (Le Ver – 1988), avec l’étonnant Persephone, chanson marquée par la tonalité macabre du Dies Irae). Sa rencontre avec Hans Zimmer va finalement se révéler plus fructueuse que prévue. C’est elle qui va composer les parties chantées, sur le modèle tragico-lyrique des chansons de son précédent disque Duality, réalisé avec Peter Brooke. Elle a aussi apporté des idées sur l’orchestration, en jouant par exemple de la cithare chinoise. Sa voix est l’âme profonde de Maximus et de son attachement à sa femme disparue. Elle fait aussi le lien avec la figure féminine de Lucilla (jouée par Connie Nielsen), secrètement amoureuse de Maximus. Après le succès du film, Lisa Gerrard sera de plus en plus sollicitée par les producteurs de cinéma. Elle aura à nouveau l’occasion de travailler avec Zimmer sur M:I-2 (Mission Impossible 2 – 2001), Tears Of The Sun (Les Larmes du Soleil – 2003), la mini-série The Bible (2013) et Dune (2021/2024). Parallèlement à ces grosses machines hollywoodiennes, on retrouve aussi Zimmer sur des projets moins « bankables » comme Invincible (2001) de Werner Herzog ou The Pledge (2001) de Sean Penn. Il composera même pour un dollar symbolique la musique de la comédie policière An Everlasting Piece (Pile Poil – 2000), réalisé par Barry Levinson.
En 2001, Pearl Harbor de Michael Bay prolonge l’expérience musicale de The Thin Red Line mais sur un registre plus romantique. La partition reste cependant plus conventionnelle et on peut préférer celle du film suivant de Ridley Scott : Black Hawk Down (La Chute du Faucon Noir – 2001), un film de guerre très réaliste sur les combats à Mogadiscio en Somalie. Zimmer s’entoure ici d’une véritable équipe de musiciens et fusionne une grande variété de styles. Pour affirmer le choc des cultures, il confronte une orchestration arabe (gimbre, cümbü?, saz) à des cordes occidentales et une guitare américaine (Infinite Guitar). Ce métissage musical entre rock, classique et world music n’est pas sans rappeler la musique de Peter Gabriel pour The Last Temptation Of Christ (1988). Zimmer utilise d’ailleurs des voix solistes (celle du sénégalais Baaba Maal), tout comme l’avait fait la pop star britannique avec Youssou N’Dour et le pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan. Il applique avec succès la même recette sur Tears Of The Sun en ajoutant des chants et des instruments africains à l’orchestre. Un titre comme The Jablonsky Variations On A Theme By HZ, réalisé par Steve Jablonsky, témoigne parfaitement de cet esprit collaboratif du studio Remote Control. Ici, c’est un thème original de Zimmer qui est intégré dans une architecture symphonique complexe où se superpose le chant spirituel de Lebo M et la voix de Lisa Gerrard. Une vraie réussite.
C’est avec le film historique King Arthur (Le Roi Arthur – 2004) qu’Hans Zimmer va atteindre les limites de son style : une soupe musicale bien grasse, assez pauvre thématiquement, où la densité sonore du chœur et de l’orchestre est surtout là pour masquer la vacuité des compositions. En 2010, il va tenter de corriger le tir (sans pour autant atteindre des sommets) avec Henri IV (2010), co-écrit avec Henry Jackman. Sur Kingdom Of Heaven (2005), Scott, en mélomane averti, ne renouvelle pas sa collaboration avec Hans Zimmer. C’est Harry Gregson-Williams, un membre du studio Remote Control, qui va se charger de la musique. Dans ce type de composition historico-médiévale, où une certaine authenticité musicale se doit d’être respectée, l’élève va se révéler plus inspiré que le maître. Il en est aussi de même pour Marc Streitenfeld, un ancien assistant de Zimmer qui signe des partitions tout à fait recommandables pour Robin Hood (Robin des Bois – 2010) et Prometheus (2012). Parmi les autres contributeurs du studio de Zimmer, il faut également mentionner John Powell, un habile orchestrateur, auteur de l’étonnant Scrat’s Fantasia On A Theme By LVB, pour Ice Age: Continental Drift (L’Âge de glace 4 : La Dérive des continents – 2012). Il a eu l’occasion notamment de travailler avec lui sur les films d’animation The Road To El Dorado (La Route d’Eldorado – 2000) et Kung Fu Panda (2008). Notons également le compositeur d’origine allemande Klaus Badelt qui a rejoint Zimmer en 1998 pour travailler à ses côtés. C’est lui qui compose la première mouture de Pirates Of The Caribbean (Pirates des Caraibes – 2003). Mais il est ensuite refoulé par Zimmer, subitement emballé par le projet. Pour preuve, il va écrire l’intégralité des thèmes en une nuit seulement.
Hans Zimmer s’était déjà aventuré dans le film de pirates avec Muppet Treasure Island (L’île au Trésor des Muppets – 1996), un mélange loufoque d’orchestrations vigoureuses et de synthétiseurs qui capturait assez bien l’esprit humoristique des célèbres marionnettes en peluche. (même si c’était surtout les chansons composées par Barry Mann qui se taillaient la part du lion). Avec la saga des Pirates, réalisé par Gore Verbinski, il compose l’un de ses plus célèbres thèmes d’action : He’s A Pirate. Un morceau très rythmique à l’orchestration basique mais porteur d’une indéniable énergie, un peu comme une vague balancée par les vents. En prêtant une oreille attentive, on peut déjà déceler dans plusieurs œuvres précédentes de Zimmer, comme Drop Zone (1994) ou Gladiator (2000), une ébauche de He’s A Pirate. Sur le second épisode, Dead Man’s Chest (Le Secret du Coffre Maudit – 2006), il crée le thème de Jack Sparrow, le pirate joué par Johnny Depp : un morceau sarcastique porté par un rythme chancelant de valse ivre qui rappelle le John Williams de The Witches Of Eastwick (Les Sorcières d’Eastwick). Le thème est interprété par le violoncelliste zurichois Martin Tillman, une personnalité importante dans l’écurie du compositeur. On le retrouve crédité sur de nombreuses partitions comme Hannibal ou Da Vinci Code. Il joue aussi du violoncelle électrique sur le thriller The Fan (Le Fan – 1996) et la trilogie des Batman. Le troisième épisode de la franchise des Pirates, At World’s End (Jusqu’au Nout du Monde – 2007) est probablement le plus réussi. Les ambiances musicales sont variées et la balance entre le grand orchestre, les parties chorales et les instruments solistes (violoncelle, guitare, fiddle, cymbalum…) apportent un véritable relief. La saga a aussi permis d’affirmer le système de production de Remote Control, c’est-à-dire écrire une partition en un rien de temps, jouée presque toujours en continu, de la première à la dernière image du film. Pour cela, Zimmer a recours à toute une armada de compositeurs additionnels (Steve Jablonsky, Nick Glennie-Smith, Ramin Djawadi, James McKee Smith, Blake Neely, Trevor Morris…) Sur l’épisode quatre, On Stranger Tides (La Fontaine de Jouvence – 2011), on peut en particulier mentionner la contribution musicale d’Eric Whitacre sur la très belle séquence des sirènes (Mermaids). La raison aussi pour laquelle l’allemand a besoin de s’entourer c’est qu’il doit répondre aux demandes des réalisateurs et des studios sur des délais souvent très courts. Ce fut par exemple le cas sur le film d’animation Rango (2011), où Gore Verbinski a soudain décidé, en plein milieu de la composition de changer de direction musicale. Zimmer et son équipe ont donc été obligés de tout recommencer.
Un autre réalisateur important avec qui Zimmer va nouer une collaboration féconde est Christopher Nolan. Les attentats du 11 septembre 2001 vont ouvrir une nouvelle ère dans le cinéma américain avec des films plus sombres et dramatiques. Les thèmes héroïques vont laisser la place à des partitions moins développés sur le plan thématique et plus expérimentales. Dans Batman Begins (2005), écrit en collaboration avec James Newton Howard, Hans Zimmer élabore ainsi un motif mélodique d’une grande simplicité. Mais combiné aux percussions et aux ostinatos. il se révèle d’une redoutable efficacité rythmique (Molossus). Pour le thème associé au Joker (Why So Serious?), dans The Dark Night (Le Chevalier Noir – 2008), il a utilisé des lames de rasoirs frottées sur des instruments à cordes pour obtenir un son torturé et tordu. Les rythmiques de cordes persistantes rappellent le morceau How Soon Is Now des Smiths, une chanson construite autour d’un seul accord. La musique électronique de The Dark Night est principalement réalisée avec le synthétiseur modulaire Zebra 2. Zimmer a travaillé de près avec le sound designer Howard Scarr pour créer une banque d’effets sonores intégrée à la bande son (ce pack a même été commercialisé sous l’appellation de « The Dark Zebra »). Avec le troisième opus de la saga, The Dark Knight Rises (2012), Zimmer est désormais seul aux commandes. La masse orchestrale hollywoodienne se retrouve de plus en plus diluée dans une patte musicale électro-minimale même si l’environnement sonore reste varié. L’utilisation d’un chœur et de lourdes percussions accentue notamment le côté épique de la partition.
Le succès de la trilogie de Nolan va amener Zimmer à composer pour d’autres films de super-héros, à chaque fois de plus en plus débiles. Man Of Steel (2013), préquel à Superman, répète le principe des Batman avec un matériel mélodique réduit. La musique met surtout en avant, la technologie du DTS Headphone:X. Zimmer a par exemple organisé un cercle de dix batteries disposé tout autour du studio, pour permettre à l’auditeur une écoute beaucoup plus immersive. S’il s’est délibérément éloigné de la partition originale de John Williams composée pour Superman, il y fera nettement plus allusion avec le thème principal de The Amazing Spider-Man 2 (The Amazing Spider-Man : le Destin d’un Héros – 2014). On peut en effet y reconnaître les fameux motifs trompettatoires héroïques si caractéristiques du célèbre barbu. En panne d’inspiration sur Batman v Superman: Dawn Of Justice (Batman v Superman : l’Aube de la Justice – 2016), il demande à Junkie XL, l’un de ses anciens collaborateurs, de venir l’épauler. En 2020, le monde des super-héros n’en a toujours pas fini avec lui puisqu’il doit encore plancher sur Wonder Woman 1984, un score « à l’ancienne » qu’il aborde avec une certaine décontraction et qui se révèle finalement assez inspiré grâce notamment à l’utilisation d’un chœur dynamique aux accents ethniques.
Hans Zimmer retrouve le Zebra 2 sur Inception (2010) de Christopher Nolan, un thriller de science-fiction à l’intrigue complexe, basé sur les rêves. Dans ce film, il va inaugurer le fameux « son BRAAAM » qui sera ensuite utilisé à outrance sur de nombreuses bandes annonces. Il l’a réalisé en faisant résonner les cordes d’un piano par une section puissante de cuivres (basson, cor d’harmonie, trombone, tuba) et de timbales. Cette sonorité cuivrée est ensuite retravaillée électroniquement. Il s’agit en fait d’une version extrêmement ralentie du début de la chanson Non, je ne regrette rien d’Édith Piaf, un titre qu’utilisent les personnages du film pour sortir de leurs rêves. Le son alourdissant des cuivres succède à la section rythmique de la chanson, donnant l’impression d’un ralentissement du tempo. Le film étant basé sur les rêves, le temps s’y déroule plus lentement que dans la réalité, ce qui explique cet effet de dilatation du son utilisé dans la composition. Selon Zimmer, toute la musique du film est d’ailleurs faite de subdivisions et de multiplications du tempo de la chanson d’Édith Piaf. Le plus réussi dans la bande-son – assez inégale au demeurant – reste surtout les parties de guitares interprétées par Johnny Marr, ancien guitariste du groupe de rock The Smiths. Le spectaculaire Dream Is Collapsing rythme impeccablement les séquences de poursuite tandis que Time, plus introspectif, restitue l’état d’esprit mélancolique de Dominick Cobb (joué par Leonardo Di Caprio).
Interstellar (2014) est probablement le film le plus ambitieux de Nolan. Un voyage spectaculaire vers l’inconnu et les espaces infinis enrichi d’une intrigue sentimentale entre un père et sa fille. Plus mature que les précédentes, la partition de Zimmer prend le contre-pied de ses musiques de blockbusters. À la demande du réalisateur, il a écrit sa partition librement, sans être asservi par les contraintes du montage. L’orchestration est épurée au profit des bois, de l’orgue, du piano et des synthétiseurs. Le style musical très contemplatif se rapproche plus d’une certaine ambient music, celle d’un Philip Glass ou d’un Brian Eno (le superbe I’m Going Home nappé d’effluves atmosphériques). Zimmer associe aussi la magnificence de l’orgue à l’espace comme l’avait fait jadis Kubrick sur 2001: A Space Odyssey avec Richard Strauss (Also Sprach Zarathustra) et Tarkovski sur Solaris avec Bach (Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ. BWV 639). Il a enregistré l’orgue de Temple Church à Londres, choisi pour son ampleur colossale. Les sons ont ensuite été samplés, retravaillés et mélangés à des sonorités synthétiques. Une vaste cathédrale sonore qui dévoile toute son ampleur sur la dernière partie du film. Dunkirk (Dunkerque – 2017), le film suivant de Nolan pousse la recherche sonore encore plus loin. Il n’est plus question seulement de thèmes ou de musique d’action, mais d’une enveloppe sonore globale, qui se confond avec les bruitages du film. On retrouve la même approche sur le film de science-fiction Blade Runner 2049 (2017) réalisé par le québécois Denis Villeneuve. Zimmer a remplacé au pied levé Jóhann Jóhannsson, le compositeur initialement prévu. Composé à la hâte avec Benjamin Wallfisch, le résultat s’apparente plus à une tapisserie sonore électro-synthétique malheureusement assez terne, un peu à l’image de la réalisation qui peine à retrouver l’inspiration du film d’origine.
Dune (2021), le film suivant de Villeneuve, tiré de la saga culte de Frank Herbert, s’avère bien plus passionnant. Zimmer a d’ailleurs refusé de composer la musique de Tenet pour se consacrer entièrement à ce projet qu’il affectionne. Il va reprendre le concept musical des musiques de Jóhann Jóhannsson pour les films précédents de Villeneuve (comme Sicario ou Arrival), c’est à dire privilégier les ambiances sonores et l’expérimentation. Le réalisateur souhaitait en effet une partition d’origine « extraterrestre », avec des instruments inconnus. Zimmer a ainsi opté pour une palette musicale riche à la fois ancestrale et électronique, inspirée par l’environnement désertique (sable, bois et vent). Un travail sur le son et la matière où la guitare saturée, les instruments à vents traditionnels, les percussions et les voix mystiques se donnent rendez-vous. Il faut aussi noter l’importance des manipulations électro-acoustiques. Par exemple, en construisant une caisse électronique de résonance, Zimmer a transformé le son du violoncelle de Tina Guo pour qu’il se rapproche (selon ses dires) « de la sonorité guerrière d’une trompe tibétaine ».
Le plus intéressant dans Dune reste surtout le parti pris du compositeur d’évacuer le symphonisme rutilant hérité de Star Wars. Dune se présente davantage comme une immersion dans le son, où les bruitages se mêlent de façon très organique à la musique. Ce n’est pas une bande originale réalisée par un orchestre classique mais plutôt par un ensemble de musiciens solistes. On retiendra par exemple la guitare saturée de Guthrie Govan qui accompagne les apparitions monumentales du ver des sables et le « cri de banshee » de la vocaliste Loire Cloiter. Ce chant dérive d’ailleurs du célèbre thème à l’harmonica composé par Morricone pour C’era una Volta il West. Le maestro romain restera décidément une référence inlassable pour le compositeur teuton. Hans Zimmer utilise également une gamme musicale arabisante avec de longues tenues de notes pour créer un environnement mystérieux. Pour autant, la dimension mélodique, même si elle paraît peu développée, est bien présente sur l’ensemble de l’œuvre. On peut le vérifier sur la très belle version pour piano interprétée par Katherine Cordova (Epic Piano Cover, visible sur Youtube). Preuve aussi que la musique de Zimmer – pour ceux qui en douteraient – passe assez bien l’épreuve de la transposition pour piano seul. Parallèlement à la bande originale, l’allemand a publié The Dune Sketchbook, un disque plus expérimental mais fort intéressant qui contient des thèmes et des ambiances musicales non retenus dans le film.
Sur Dune II (2024), Hans Zimmer a créé un thème chaleureux au duduk pour évoquer la relation amoureuse entre Paul et Chani. Un moment de poésie lyrique opposé à l’univers brutal et métallique des Harkonnen. On pourrait, certes, reprocher au compositeur une certaine facilité d’écriture dans la répétition des mêmes ambiances et des mélodies, déclinés à l’infini comme des leitmotivs. En cela l’épisode deux se contente trop de recycler le même matériel thématique du premier opus sans changer réellement de direction musicale. Une démarche qui permet néanmoins de relier avec cohérence les deux épisodes comme s’il s’agissait d’un seul et même film. Sur Dune II, il faut également mentionner la présence de l’ingénieur français Christophe Duquesne de « La Voix du Luthier ». Il a joué un rôle important dans la conception du sound design en jouant des instruments synthétiques comme le Continuum à touche ou l’Osmose, amplifiés par des résonateurs de bois.
Dans l’exploration du son, Zimmer rejoint parfois l’esthétique musicale des pionniers de l’électronique comme Morton Subotnik ou Karlheinz Stockhausen. Il partage d’ailleurs un certains nombre de points communs avec ce dernier, comme le renoncement de la forme classique traditionnelle et l’enregistrement multi-canal. La musique de Dune a d’ailleurs été conçue pour être écoutée en Dolby Atmos, avec un son qui s’enroule autour de l’auditeur. Il est alors tentant de comparer l’œuvre de Zimmer au cycle de Licht de Stockhausen, une série de sept opéras « cosmiques » où les sonorités électroniques figurent en bonne place, notamment sur Dienstag. Même si le style des deux compositeurs diffère largement – Stockhausen étant plutôt marqué par l’atonalité – on y retrouve cette même exubérance sonore libérée de toute règle musicale préétablie. Ce qui amène d’ailleurs dans les deux cas la perplexité d’un bon nombre d’auditeurs qui s’interrogent. « Où sont donc passé les violons et les jolies mélodies ? » Avec le flûtiste Pedro Eustache, Zimmer a d’ailleurs développé des effets de souffles bruitistes que l’on retrouvait déjà dans le cycle de Licht.
Une suite de la musique de Dune a était jouée en 2023 dans les tournées live du compositeur : le thème de la maison des Atréides interprété par une section de cornemuses et de guitare heavy-métal a été l’un des moments fort du concert. Il faut d’ailleurs ajouter que les tournées de Zimmer se différencient largement des concerts de la musique de film de tradition plus symphonique. Chez l’allemand, on est plus proche de l’esprit du rock avec combo d’instruments amplifiés et mise en valeur des musiciens solistes. Bassiste black, guitaristes hirsutes, violoniste en jupe courte et violoncelliste hard-rockeuse (la chinoise Tina Guo toute de noir vêtue qui bouffe littéralement l’écran sur les solos de violoncelles). Devant le succès de ses concerts, Zimmer a d’ailleurs publié plusieurs enregistrements live. Certains titres comme The Thin Red Line, Rush ou Pirates Of The Caribbean passent d’ailleurs assez bien sur scène. De façon générale, la musique de Zimmer fonctionne mieux sur des suites ou des durées raccourcies, ce qui permet d’éviter les redondances orchestrales et la répétition des mêmes formules mélodiques. Même sans sa participation, les tournées de Hans Zimmer se poursuivent toujours avec le même succès à travers le monde. The World Of Hans Zimmer, peut-on lire sur les affiches. Et c’est en effet le cas. Hans Zimmer continue encore et toujours d’exister sur sa propre orbite.
À écouter : The Thin Red Line (20th Anniversary Expanded Edition, La-La Land Records), Gladiator (20th Anniversary Edition, Universal Music Classics), Interstellar (Expanded Edition, Water Tower Music), Dune et Dune Sketchbook (WaterTower Music).
À visionner : Hans Zimmer – Live in Prague (2017) et Hans Zimmer, le Compositeur d’Hollywood réalisé par Francis Hanly (2022).