En réécoutant tout à l’heure la musique de Tess, un moment particulièrement bien conçu m’a donné envie d’ouvrir ce sujet : celui où un motif associé à une ballade en chariot est repris au trot – mais de manière encore relativement détendue –, pour ensuite changer de ton et entrer de plein pied dans l’évocation psychologique, la tension, la peur du personnage titre. Ce passage bref mais marquant forme la seconde partie du morceau « Tess retrouve Angel ». Il m’a donné à réfléchir sur le procédé utilisé, fatalement assez courant dans l’art de la musique de film, mais de manière tranchée, pas si souvent me semble-t-il. J’ai essayé de me remémorer quelques exemples majeurs.
Je parle d’un moment où une musique plutôt détendue voire gaie, qui au départ paraît simplement descriptive d’une situation – disons une musique « extérieure », pas forcément intra-diégétique, mais elle peut l’être – prend de manière plus ou moins surprenante un tournant vers une musique bien plus « intérieure » dramatiquement, souvent vers une grande tension où un climax psychologique.
« Pillow Fight » d’Island in the stream m’est tout de suite venu à l’esprit. La valse de Mme Bovary aussi, bien que l’enregistrement Silva Screen soit plus caractérisé que l’original, qui reste relativement sage dans ses effets. La valse de Legend, dans la foulée, ainsi que sa « Faerie Dance » qui part également en vrille. Le banquet de la Compagnie des loups, où les convives se changent en cochons.
Il doit y en avoir pas mal d’autres auxquels je ne pense pas, alors faites chauffer vos méninges et péter les exemples !
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 10:10
par Denshaotoko
La scène du carrousel de The Fury conviendrait?
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 10:34
par Dadid
Ah mais direct, parfait !
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 11:05
par Denshaotoko
Je penserais aussi encore à Williams et à la poursuite dans le désert des Aventuriers… Mais ça convient moins bien, même si ça commence très ordonné pour finir très rapide.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 11:36
par ChrisRib
L'exemple de The Fury me fait penser à un autre De Palma , cette fois illustre par Bernie Herrmann : Sisters, et en particulier la scène du gâteau d'anniversaire, qui commence comme une berceuse apaisante , pour finir dans un déchaînement psychotique illustrant à la foi un meurtre particulièrement graphique et la folie refoulée du personnage de Margot Kidder
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 12:27
par Dadid
Bien vu ! Il y a aussi, toujours chez De Palma, la scène de la gare des Incorruptibles, qui bien qu'elle n'offre pas (musicalement) de climax puissant évolue d'une musique anodine (la comptine boite à musique faisant écho au bébé dans son landau) à une tension illustrant le duel des flics et des malfrats... et, en signe de victoire, se "contente" de revenir à la comptine. L'exemple type d'une musique qui fait passer une scène déjà remarquable à un niveau supérieur.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 12:42
par Edern
Un morceau qui pourrait coller à la descrpition est Carnival From Hell de Danny Elfman pour Darkman, ça commence de manière innocente (même si la "musique de cirque" peut paraître dérangeante à certains, même au premier degré) pour s'orienter petit à petit vers la crise de furie du héros...
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 12:48
par Denshaotoko
Dadid a écrit :Bien vu ! Il y a aussi, toujours chez De Palma, la scène de la gare des Incorruptibles, qui bien qu'elle n'offre pas (musicalement) de climax puissant évolue d'une musique anodine (la comptine boite à musique faisant écho au bébé dans son landau) à une tension illustrant le duel des flics et des malfrats... et, en signe de victoire, se "contente" de revenir à la comptine. L'exemple type d'une musique qui fait passer une scène déjà remarquable à un niveau supérieur.
La musique de Carlito's Way de Doyle dans le morceau Grand Central?
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 12:51
par Lee Van Cleef
Denshaotoko a écrit :La scène du carrousel de The Fury conviendrait?
J'ignore si mon orgueil s'en relèvera un jour... mais je dois avouer, le katana dépouillé soudain de toute vigueur priapique, que l'inénarrable scène du film de De Palma (ah, ces bonshommes enturbannés piaillant tout leur saoul dans la nacelle folle !) est aussi la première à avoir vu le jour sous mon crâne liseré de gris. Le vieux Van Cleef, coiffé au poteau à l'instar d'une vulgaire bleusaille ! Allons, c'est de bonne guerre... Et puis, Den a eu raison d'honorer cette méthodologie assez répandue, consistant à laisser de sinistres pans de ténèbres gangrener la candeur d'une boîte à musique, d'une comptine pour enfant, d'un carrousel allègre. Témoin, donc, Big John, qui fait joyeusement tourner une inoffensive ritournelle foraine avant de lui faire goûter, par petites touches toujours un peu plus corruptrices, aux affres de l'enfer.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 13:52
par Dadid
Denshaotoko a écrit :La musique de Carlito's Way de Doyle dans le morceau Grand Central?
Celle-ci ne me semble pas appartenir à cette catégorie, de mémoire il s'agit d'une grande scène d'action mais sans lien avec un élément diégétique.
Bienvenue Lee, toi le cinéphile, tu vas bien nous trouver quelque chose...
Par contre nous perdons de vue la base : la trajectoire De Palma/Herrmann vient directement d'Hitchcock, de Marnie et sa pourtant évidente scène de chasse à courre ! Un modèle de musique "de situation" que se change en autre chose. De là à dériver vers d'autres véneries comme celle de La malédiction finale, il n'y a qu'une foulée équestre... Quoi que cet exemple soit limite car le ton évolue peu, mis à part l'irruption du thème du mal... c'est plus une synthèse, mais quand-même l'idée générale s'y retrouve nettement.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 14:39
par Misquamacus
Alors je ne sais pas si ça peut aller là, puisque la musique change d'une scène à l'autre, mais... (les deux scènes à la suite bien sûr)
Je crois que c'est ma scène préférée d'un film, toute catégorie. Un chef-d'oeuvre de narration visuelle, juste avec de la musique et des bruitages.
Et si en plus on aime le film dans son ensemble, elle n'en est que plus douloureuse. Magistrale.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 16:00
par Link
Alors je tente...Je suis loin d'être certain d'avoir intégré le principe exact, mais quid d'une des dernières scènes de Link, ( Flaming Link) où la musique d'action qui accompagne la cavalcade dudit Link se change en la reprise du thème principal version musique de cirque, lorsque le singe allume son cigare en se remémorant qu'il a été le maître du feu...avant de s'effondrer dans les flammes au son d'une rupture rapide de la mélodie...?
Mais encore une fois....n'hésitez pas à me contredire !
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 16:13
par Julien
De mémoire, il me semble qu'il y a un truc comme ça dans La cité des enfants perdus mis en musique par Angelo Badalamenti. Un motif enfantin à l'orgue de Barbarie qui prend un tour de plus en plus dramatique. Il me semble avoir entendu d'ailleurs dans une interview de l'époque que Jeunet était assez fier de cet effet.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 16:14
par Denshaotoko
River chase, dans le Sherlock Holmes de Patrick Gowers, qui commence assez doux et ordonné, et qui progressivement… bah, part en vrille, justement!
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 17:48
par Mortimer
Entre des morceaux de valse et de tension je vois bien "The Boys from Brazil" entrer dans cette catégorie. Je dirais même que tout le disque est un catalogue du genre.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 17:52
par Denshaotoko
Mortimer a écrit :Entre des morceaux de valse et de tension je vois bien "The Boys from Brazil" entrer dans cette catégorie. Je dirais même que tout le disque est un catalogue du genre.
Julien a écrit :De mémoire, il me semble qu'il y a un truc comme ça dans La cité des enfants perdus
ça c'est très bon, et bien dans la cahier des charges, avec ce début "musique de rue"anodin, puis ce changement de tonalité perturbant qui nous emmène ailleurs.
Misquamacus a écrit :Alors je ne sais pas si ça peut aller là, puisque la musique change d'une scène à l'autre, mais... (les deux scènes à la suite bien sûr)
Je crois que c'est ma scène préférée d'un film, toute catégorie. Un chef-d'oeuvre de narration visuelle, juste avec de la musique et des bruitages.
Et si en plus on aime le film dans son ensemble, elle n'en est que plus douloureuse. Magistrale.
Quelle scène oui, j'adore ! Elle ne rentre pas tout à fait dans la catégorie recherchée à mon avis, dans la mesure où la première partie, même s'il y a une belle rupture de ton, est déjà de la musique dramatique (le thème de Carrie qui traduit son bonheur de l'instant, avant que tout ne se renverse). Pour rentrer idéalement dans ma catégorie, il aurait fallu que ça commence par la musique plus pop, neutre, de l'ambiance de bal, puis que ça "vrille"... Mais vu la rupture de ton, oui, c'est quand même bien l'idée.
Link a écrit :quid d'une des dernières scènes de Link, ( Flaming Link) où la musique d'action qui accompagne la cavalcade dudit Link se change en la reprise du thème principal version musique de cirque, lorsque le singe allume son cigare en se remémorant qu'il a été le maître du feu...avant de s'effondrer dans les flammes au son d'une rupture rapide de la mélodie...?
Pas mal ! Là on a une utilisation inverse, une musique purement dramatique dans laquelle vient se glisser des mesures de musique évocation du cirque, en décalage. Un de mes morceaux préférés de cette BO qui en comprend pas mal.
Au passage, ça me fait penser à un moment du King Kong de Barry, quand la musique disco du stadium cède le pas à une musique bien plus dramatique... pas si tendue que ça, mais c'est le principe.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : dim. 3 mai 2020 18:57
par Misquamacus
Denshaotoko a écrit :
Tiiiiiiiii-pouuuu-di, pou-di, pou-di, ti-poudi-pouuuuuuuu!
Hors contexte, c'est géant !
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : lun. 4 mai 2020 14:43
par ChrisRib
Autrement le maestro Morricone est vraiment maitre de cet exercice. Outre les incorruptibles suscité , je pense aux westerns Leoniens notamment " pour quelques dollars de plus " et " il était une fois dans l'ouest " ou une montre à musique et un harmonica hautement diététiques pour les protagonistes des histoires respectives , se transforment en explosions orchestrale , qui permettent aux spectateurs de partager l'émotion mélancolique et revancharde des héros malheureux immortalisés sur pellicule
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : lun. 4 mai 2020 15:53
par Bmcready
Dadid a écrit :......... « Pillow Fight » d’Island in the stream m’est tout de suite venu à l’esprit. .....
Pour notre ami Dadid, qui, j'en ai la certitude viscérale, ne rêve que de voir son beau topic adorné du sol au plafond de trésors de subtilité, Alan Silvestri n'apparaît peut-être pas comme l'archétype du client qu'il convient à tout prix de courtiser. La faute, en l'occurrence, à un style notoirement heurté et rempli de violents à-coups. Une scène de Judge Dredd fait pourtant merveille : on y voit Rob Schneider (l'homme de la bouche duquel fusa un jour la réplique la plus bouleversifiante de ce côté-ci de la galaxie, souvenons-nous en toujours) survoler à bord d'un aéronef les cyclopéennes cimes de Mega-City One, son cerveau farci de rêves d'opulence, avant qu'une plongée en apnée dans les bas-fonds rien moins qu'accueillants ne le ramène à la dure réalité. Silvestri, au pinacle de son inspiration musclée, donne d'abord quartier libre à un fabuleux thème principal, renversant de majesté, avant d'être aspiré à son tour par les entrailles de la ville. Le débit de mitraillette de l'orchestre californien souligne probablement l'abrupte césure avec une efficacité plus mâle que le Sinfonia of London, mais celui-ci, en imposant avec une sorte de force tranquille sa voix gutturale, est très loin de démériter. Dans les deux cas de figure, Silvestri aide grandement à donner ce qui est peut-être son acmé à un film par ailleurs médiocrement mis en scène.
Re: Quand la musique part en vrille
Publié : ven. 8 mai 2020 10:24
par Dadid
Bmcready a écrit :
Dadid a écrit :......... « Pillow Fight » d’Island in the stream m’est tout de suite venu à l’esprit. .....
Merci pour cette correction, car c'est bien évidemment à Is Ten Too Old que je songeais pour illustrer mon propos ! J'espère ne pas vous avoir induit en erreur... Ceci étant réparé, qu'il me soit pardonné cette étrange méprise due au fait que je parcours rarement les intitulés des morceaux - trop occupé que je suis, équipé d'un casque et d'un divan moelleux, à en savourer les textures impressionnistes.