Que vaut vraiment "Batman v. Superman : Dawn Of Justice" ?
Publié : dim. 3 avr. 2016 12:01
Je me suis fendu d'un long article, que j'assortis d'une vidéo intéressante sur le sujet diffusée quelques jours après.
Pour les courageux de la lecture.
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Il est enfin là. Longtemps resté un pur fantasme de geeks, le film réalisé par Zack Snyder mettant officiellement en scène la première rencontre (et l'affrontement qui s'ensuit) entre la chauve-souris et l'homme d'acier est sorti dans les salles en ce début de printemps 2016 et se veut la suite directe du Man Of Steel (2013) pondu par le même réalisateur.
Il pose par là même un peu plus les bases du DCCU (DC Cinematic Universe) de la même manière que Iron Man (2008) et Captain America (2010) avaient érigé les fondations du MCU (Marvel Cinematic Universe) qui ont été propices à l'incontestable succès du premier épisode des Avengers (2012).
Réservées aux plus puristes des fans de comics avant leur débarquement sur grand écran, les réunions de super héros ont le vent en poupe depuis le tour de force Avengers qui a su prouver aux studios frileux que le spectacle pouvait tant plaire aux aficionados qu'à un public moins porté sur la chose grâce à un savant équilibre mêlant humour, action et spectaculaire accessible, que l'on ait huit ou quarante-cinq ans, et ce dans la pure tradition des blockbusters sortis de la maison Disney qui a racheté pèle-mêle Marvel et Lucasfilm (Star Wars).
Rassuré sur le principe, et certainement un peu jaloux de voir la tournure extrêmement favorable (du moins à ce jour) que prend le projet MCU, Warner dégaine ses cartes sans renier pour autant ce qui lui a permis de rayonner ces dernières années : l'orientation résolument plus sombre, réaliste et adulte initiée par Christopher Nolan avec Batman Begins (2005) et prolongée avec succès par le plébiscité The Dark Knight (2008) et le moyen-mais-très-bon-quand-même The Dark Knight Rises (2012) qui réserve l'univers à un public averti.
C'est dans cet esprit que, sous l'égide de Christopher Nolan qui, malgré les gros budgets caractérisant ses films, demeure un auteur avec ses propres obsessions, réfléchit une nouvelle version de Superman, personnage boudé par le public depuis longtemps en raison de la vision naïve et romantique posée par le long-métrage de 1978 jamais vraiment remis en question jusque là au cinéma.
Gommant tout ce qui a pu décrédibiliser le dernier Kryptonien (le slip rouge, l'incapacité de Lois à reconnaître Clark et Superman, etc.), Man Of Steel se posait comme une oeuvre sans surprise, pas subtile pour un sou, mais intéressante dans ses idées de base malgré de nombreuses ratées, et savamment emballée par un réalisateur techniquement consciencieux (le jeune Zack Snyder). Pari à demi-réussi donc.
Batman v. Superman : Dawn Of Justice (BvS pour les intimes) continue le bout de chemin déjà tracé et avait vraiment de quoi susciter la curiosité de par son seul titre. De la même manière que The Dark Knight (2008) s'était imposé comme supérieur à tout point de vue à un Batman Begins (2005) réjouissant mais imparfait (meilleure maîtrise du projet, introduction des personnages les plus intéressants de l'univers), BvS avait tous les éléments en sa possession pour ne pas se louper.
Rien que grosse la bande-annonce de 3 minutes 40 sortie à l'occasion du Comic Con de San Diego en juillet 2015 avait suffi à renforcer l'engouement éventuel, à grands coups d'explosions stylisées, de plans iconiques et de musique pleine de chœurs quasi-religieux, le tout étant l'occasion rêvée pour apercevoir (ou entrapercevoir) les principaux (et surtout nouveaux) personnages.
Et là, patatra ! Une autre bande-annonce est sortie après et a tout ruiné en racontant l'intégralité du fil rouge de BvS. Une erreur tout bonnement impardonnable qui achevait de donner tous les indices pour pouvoir écrire l'intégralité du scénario avant même la sortie du produit fini. Merci le trailer spoiler.
On pouvait espérer être un minimum surpris. Peut-être était-ce voulu pour mener le public dans une autre direction et sincèrement l'étonner dans le bon sens du terme. Il n'en est rien. Et c'est là que le bât blesse : BvS dit adieu à toute forme de subtilité, quelle qu'elle soit.
Le film qui se targue d'une durée excessivement longue par rapport à ce qu'il raconte (2h30) se meut avec la même souplesse que le Batman engoncé dans son armure pour affronter Superman : lent, lourd, laborieux et robotisé.
Le sentiment de puissance qui caractérisait Man Of Steel (et faisait sa force, sans mauvais jeu de mots) demeure mais ne suffit pas rehausser l'ensemble, noyé dans des références et des clins d’œil (pour ne pas dire des coups de coude) beaucoup trop évidents pour être honnêtes. C'en est à un point tel que l'on ne se hasardera pas à parler de plagiat mais de patchwork grossier qui a gratté les meilleurs éléments des autres œuvres sur le sujet, tous supports confondus : film, comics, série animée et même jeu vidéo et musique (le nouveau thème de Batman semble sorti de la B.O. de Batman Forever!).
En soi, ce n'est pas un mal et c'était d'ailleurs le fonds de commerce de la trilogie Dark Knight de Nolan. Mais là, ça ne fonctionne pas car c'est trop tout : trop stylisé, trop iconique, trop de bons sentiments, trop lugubre, trop évident... BvS pêche par l'ensemble de ses excès, la palme étant à remettre à l'extrême balourdise avec laquelle il nous introduit la suite du DCCU et la naissance de la Justice League (l'association de héros regroupant Batman, Superman, Wonder Woman, etc.).
A force de trop vouloir prendre le spectateur par la main, les scénaristes le perdent dans ce spectacle engraissé qui, de la même façon qu'un menu au fast-food du coin, fait mal au ventre en même temps qu'il échoue à rassasier.
Tout n'est cependant pas à jeter, et c'est là que se situe le gros de la frustration. Car BvS a des idées. Des excellentes mêmes. Il y a de l'audace et du jouissif, des petits éclairs de pur plaisir de fan (ou de petit garçon, c'est selon) comme voir Batman et Superman se mettre sur la gu****, ce qui nous est annoncé en fanfare depuis le début du projet. La séquence est diablement réussie, quoiqu'on en dise, mais peine à relever le niveau du reste et pour cause...
À force de vendre l'affrontement entre deux héros, celui entre les deux hommes derrière le masque passe complètement à la trappe. La seule joute verbale entre Bruce Wayne et Clark Kent à laquelle nous avons droit figure intégralement dans le trailer spoiler : un scandale, d'autant que l'échange était prometteur, et qu'explorer un peu plus cet aspect de la confrontation (voire l'explorer tout court en fait) n'aurait en rien démérité sur le projet qui se vante d'en faire son beurre.
La confrontation "à la ville" entre Bruce et Clark était même très attendue. Vu le nombre incroyable de références parmi lesquelles les scénaristes ont pioché allègrement leurs meilleures idées, il est intolérable qu'un des modèles du genre ait été zappé dans les grandes largeurs, à savoir le triptyque World's Finest de la série animée Superman TAS de 1996 où Batman et Superman, en plus de devoir collaborer sous la contrainte, n'ont de cesse de s'envoyer des piques, de se disputer le cœur de Lois.
Là est d'ailleurs l'occasion de faire le point sur les personnages féminins du film et de tirer à boulet rouge sur un défaut récurrent depuis maintenant plus de dix ans (depuis Batman Begins en fait) : l'incapacité des scénaristes à nous pondre des personnages féminins dignes de ce nom, là où Marvel (et ses Avengers) s'en tire haut la main. Alors certes, BvS va prendre pour tous les autres car il n'est pas le seul concerné, mais cela est d'autant plus regrettable qu'il rassemble un certain nombre de personnages féminins et que jamais il ne les honore.
Outre le parallèle entre la mère de Bruce et celle de Clark (qui partagent le même prénom) qui atteint ses limites plus vite que de raison, et à l'exception de Wonder Woman qui est relativement bien amenée, grosse grosse grosse frustration concernant Mercy Graves et la Sénatrice. Ces dernières avaient le potentiel pour redresser le niveau mais disparaissent salement de l'intrigue. Paradoxalement, le personnage de Lois Lane est excessivement présent et il est manifeste que les scénaristes ne savent qu'en faire à part s'en servir comme d'appât à Superman. Ainsi, on n'en est toujours là ? Damned...
Le personnage de Mercy Graves est un prétexte tout trouvé pour évoquer le traitement malhabile du personnage de Lex Luthor, puppet master de la semaine.
Au préalable, vous vous êtes peut-être demandé qui était Mercy Graves, étant donné qu'elle est citée quelques lignes plus haut. Il faut dire que son nom n'est, sauf erreur, pas prononcé une seule fois dans le film. Ou alors jamais complètement. Il s'agit de l'assistante de Lex Luthor. Blonde aux yeux bleus dans la série animée Superman TAS de 1996 à l'occasion de laquelle elle a été créée, elle devient ici une asiatique anorexique qu'on dirait tout droit sortie d'un manga.
Pour la petite histoire, elle est à mi-chemin entre Alfred et Harley Quinn (la petite amie du Joker) mais pour Lex Luthor : la personne à tout faire, fidèle et loyale à son patron, dont elle est éprise et pour qui elle se sacrifierait sans hésiter. Selon les versions, ils se mettent ensemble, elle le trahit et/ou elle se fait lâchement descendre, souvent par Lex Luthor lui-même d'ailleurs, qui ne voit rien d'autre en elle que de la chair à canon.
Ce personnage permet de donner une certaine profondeur à l'univers de Metropolis et à celui de Lex. Dans BvS, c'est là aussi zappé, de manière volontaire et très maladroite. On ne voit jamais les deux personnages interagir et, pour cause, la vision de Lex livrée par Jesse Eisenberg ... n'est en rien Lex Luthor. Elle s'apparente plus à un jeune Joker décalqué de celui de Heath Ledger, coiffure à l’appui, alors même que c'est à l'extrême opposé de ce qu'est Lex Luthor à tout âge : un fin manipulateur fielleux, gentleman, inexpressif, à la limite du flegmatique, doté d'une intelligence impressionnante.
Le Lex qui nous est dépeint dans BvS est admissible de par ses intentions à l'égard de Superman et de son diabolique plan calculé au millimètre près, mais pas de par sa folie contenue (la scène du cocktail) qui est une faute impardonnable. Espérons que la suite (si suite il y a car on peut en douter par moments) saura rectifier le tir, et cette dernière appréciation ne remet en rien en question les talents d'interprète de Jesse Eisenberg qui a le potentiel pour tout jouer.
Concernant le Bruce Wayne/Batman et le Alfred introduits dans ce nouvel univers, respectivement interprétés par Ben Affleck et Jeremy Irons, force est de constater qu'ils s'en tirent avec les honneurs. Le choix "Bat-Affleck" tant décrié à ses débuts s'impose naturellement, de la même manière que Heath Ledger et Daniel Craig pour leurs rôles respectifs du Joker et de James Bond en leur temps malgré les vives contestations des internautes à l'annonce de leur désignation.
Ben Affleck livre un Bruce Wayne encore plus fatigué et névrosé qu'à l'accoutumée à l'inspiration évidente (le célèbre comic The Dark Knight Returns de Frank Miller) tandis que Jeremy Irons compose un Alfred somme toute crédible, à mi-chemin entre la vision des films de Tim Burton et celle de Nolan. On ne peut s'empêcher de penser que la qualité jamais démentie des jeux vidéos Arkham Asylum et Arkham City (sortis en 2009 et 2011) a eu une influence sur l'aspect visuel de ce nouveau Batman dont le costume est une synthèse parfaite de tout ce qui a pu être cousu à ce jour pour le héros.
Pour tout ce qui concerne le casting, à deux trois exceptions près, ça a été assez bien fait, de même que tout ce qui touche au côté technique du film : les couleurs délavées made in Snyder, la réalisation fluide qui (ab)use des ralentis, l'intégration des effets numériques... Sur ce plan, on ne peut qu'applaudir tout le boulot de l'équipe de réalisation qui a fidèlement retranscrit l'ambiance et les couleurs "comics" sur bobine. Tout simplement bluffant... en même temps que c'en devient lourd et indigeste au bout de 2h30.
À cela s'ajoutent les étranges rêves que font certains personnages, et qui sont m'as-tu-vu : au choix, ils n'apportent rien à l'intrigue principale (à part nous rappeler ce que l'on sait déjà) ou bien ils servent à préparer les épisodes suivants. Mais s'il s'agit de ça, c'est particulièrement maladroit et donne le sentiment que les scénaristes prennent les spectateurs pour des idiots si on ne leur met pas l'évidence sous les yeux. Du gros fan-service qui tâche et qui va exaspérer le principal public visé.
À force de ne pas vouloir laisser passer le moustique, le chameau traverse quant à lui à l'aise. Un peu comme le coup du peuple de Krypton qui a conquis de nombreuses planètes et était particulièrement avancé en termes de connaissances scientifiques mais qui a échoué à prédire la destruction de sa planète mère et à trouver une solution de repli autre qu'envoyer un bébé sur Terre (Man Of Steel, c'est de toi qu'on parle !).
L'univers a tout pour être cohérent (ambiance, costumes, effets spéciaux) mais n'est pas aidé par l'histoire et un rythme en dents de scie, un peu comme si l'on avait pris un malin plaisir à faire tout ce qu'il ne fallait pas faire : passer rapidement sur ce qui intéresse le plus (les joutes verbales entre Clark et Bruce) et s'attarder sur du flan (la névrose de Bruce qui aurait mérité mieux que des scènes d'hallucination repompées là aussi de Batman Forever et de ses scènes coupées, le dernier acte tout bonnement interminable et auquel personne ne croit, etc).
Les dix premières minutes du film sont symptomatiques de ce qui ronge le projet à la moelle : de bonnes idées pour ne pas dire excellentes ternies par de petits instants purement "WTF" : l'assassinat des parents Wayne revisité à la sauce Watchmen, le jeune Bruce qui s'envole en même temps que les chauves-souris (?!!), l'affrontement final entre Superman et Zod revu mais à hauteur du badaud...
Même la musique n'est pas aussi désespérante qu'annoncée. Elle saura séduire ceux qui ont été sensibles à la poésie qui se dégageait de la B.O. de Man Of Steel, y compris les anti-Zimmer les plus virulents, en même temps que les amateurs de sons épiques et de percussions électro brutales made in Remote Control Productions.
Mais non ! On nous rajoute toujours le petit truc qui énerve juste derrière, comme le final boursouflé à l'image de cette abomination étrangement ressemblante à celle de L'Incroyable Hulk (2008), visible dès le trailer spoiler.
Il reste quelques petites surprises (le procès), des séquences savamment traitées (en dehors de toute subtilité, bien entendu) et des thématiques intéressantes... mais ce n'est pas assez pour rattraper un flot d'erreurs grossières. À titre de comparaison, The Dark Knight Rises (2012) réussissait mieux son coup alors qu'il traîne lui aussi de belles grosses casseroles (et pas que celle liée à Marion Cotillard).
Bilan :
Batman v. Superman : Dawn Of Justice était une déception quasi-attendue depuis la diffusion du trailer spoiler. Le produit fini rendu public le 23 mars dernier le confirme : un blockbuster inégal recelant de qualités certaines et de séquences jouissives, mais également de défauts impardonnables accentués par la balourdise générale et une incommensurable maladresse qui pouvait être évitée, quoi qu'on en dise. La férocité avec laquelle les critiques mondiales s'attaquent au sujet est bien la preuve, selon les arguments avancés, que l'on pouvait faire mieux sans copier Avengers. Warner et Snyder ont voulu tracer leur propre voie, ce qui mérite l'admiration (nous n'avons pas un “Avengers bis”) mais ils se sont pour l'instant perdus en route. Seuls les films "solo" déjà en préparation (Wonder Woman sort l'an prochain, Suicide Squad cet été) nous diront s'ils ont retrouvé leur chemin avant que la décision ne soit prise d'avorter le projet DCCU en son entier.
Note : 6/10
Pour les courageux de la lecture.
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Il est enfin là. Longtemps resté un pur fantasme de geeks, le film réalisé par Zack Snyder mettant officiellement en scène la première rencontre (et l'affrontement qui s'ensuit) entre la chauve-souris et l'homme d'acier est sorti dans les salles en ce début de printemps 2016 et se veut la suite directe du Man Of Steel (2013) pondu par le même réalisateur.
Il pose par là même un peu plus les bases du DCCU (DC Cinematic Universe) de la même manière que Iron Man (2008) et Captain America (2010) avaient érigé les fondations du MCU (Marvel Cinematic Universe) qui ont été propices à l'incontestable succès du premier épisode des Avengers (2012).
Réservées aux plus puristes des fans de comics avant leur débarquement sur grand écran, les réunions de super héros ont le vent en poupe depuis le tour de force Avengers qui a su prouver aux studios frileux que le spectacle pouvait tant plaire aux aficionados qu'à un public moins porté sur la chose grâce à un savant équilibre mêlant humour, action et spectaculaire accessible, que l'on ait huit ou quarante-cinq ans, et ce dans la pure tradition des blockbusters sortis de la maison Disney qui a racheté pèle-mêle Marvel et Lucasfilm (Star Wars).
Rassuré sur le principe, et certainement un peu jaloux de voir la tournure extrêmement favorable (du moins à ce jour) que prend le projet MCU, Warner dégaine ses cartes sans renier pour autant ce qui lui a permis de rayonner ces dernières années : l'orientation résolument plus sombre, réaliste et adulte initiée par Christopher Nolan avec Batman Begins (2005) et prolongée avec succès par le plébiscité The Dark Knight (2008) et le moyen-mais-très-bon-quand-même The Dark Knight Rises (2012) qui réserve l'univers à un public averti.
C'est dans cet esprit que, sous l'égide de Christopher Nolan qui, malgré les gros budgets caractérisant ses films, demeure un auteur avec ses propres obsessions, réfléchit une nouvelle version de Superman, personnage boudé par le public depuis longtemps en raison de la vision naïve et romantique posée par le long-métrage de 1978 jamais vraiment remis en question jusque là au cinéma.
Gommant tout ce qui a pu décrédibiliser le dernier Kryptonien (le slip rouge, l'incapacité de Lois à reconnaître Clark et Superman, etc.), Man Of Steel se posait comme une oeuvre sans surprise, pas subtile pour un sou, mais intéressante dans ses idées de base malgré de nombreuses ratées, et savamment emballée par un réalisateur techniquement consciencieux (le jeune Zack Snyder). Pari à demi-réussi donc.
Batman v. Superman : Dawn Of Justice (BvS pour les intimes) continue le bout de chemin déjà tracé et avait vraiment de quoi susciter la curiosité de par son seul titre. De la même manière que The Dark Knight (2008) s'était imposé comme supérieur à tout point de vue à un Batman Begins (2005) réjouissant mais imparfait (meilleure maîtrise du projet, introduction des personnages les plus intéressants de l'univers), BvS avait tous les éléments en sa possession pour ne pas se louper.
Rien que grosse la bande-annonce de 3 minutes 40 sortie à l'occasion du Comic Con de San Diego en juillet 2015 avait suffi à renforcer l'engouement éventuel, à grands coups d'explosions stylisées, de plans iconiques et de musique pleine de chœurs quasi-religieux, le tout étant l'occasion rêvée pour apercevoir (ou entrapercevoir) les principaux (et surtout nouveaux) personnages.
Et là, patatra ! Une autre bande-annonce est sortie après et a tout ruiné en racontant l'intégralité du fil rouge de BvS. Une erreur tout bonnement impardonnable qui achevait de donner tous les indices pour pouvoir écrire l'intégralité du scénario avant même la sortie du produit fini. Merci le trailer spoiler.
On pouvait espérer être un minimum surpris. Peut-être était-ce voulu pour mener le public dans une autre direction et sincèrement l'étonner dans le bon sens du terme. Il n'en est rien. Et c'est là que le bât blesse : BvS dit adieu à toute forme de subtilité, quelle qu'elle soit.
Le film qui se targue d'une durée excessivement longue par rapport à ce qu'il raconte (2h30) se meut avec la même souplesse que le Batman engoncé dans son armure pour affronter Superman : lent, lourd, laborieux et robotisé.
Le sentiment de puissance qui caractérisait Man Of Steel (et faisait sa force, sans mauvais jeu de mots) demeure mais ne suffit pas rehausser l'ensemble, noyé dans des références et des clins d’œil (pour ne pas dire des coups de coude) beaucoup trop évidents pour être honnêtes. C'en est à un point tel que l'on ne se hasardera pas à parler de plagiat mais de patchwork grossier qui a gratté les meilleurs éléments des autres œuvres sur le sujet, tous supports confondus : film, comics, série animée et même jeu vidéo et musique (le nouveau thème de Batman semble sorti de la B.O. de Batman Forever!).
En soi, ce n'est pas un mal et c'était d'ailleurs le fonds de commerce de la trilogie Dark Knight de Nolan. Mais là, ça ne fonctionne pas car c'est trop tout : trop stylisé, trop iconique, trop de bons sentiments, trop lugubre, trop évident... BvS pêche par l'ensemble de ses excès, la palme étant à remettre à l'extrême balourdise avec laquelle il nous introduit la suite du DCCU et la naissance de la Justice League (l'association de héros regroupant Batman, Superman, Wonder Woman, etc.).
A force de trop vouloir prendre le spectateur par la main, les scénaristes le perdent dans ce spectacle engraissé qui, de la même façon qu'un menu au fast-food du coin, fait mal au ventre en même temps qu'il échoue à rassasier.
Tout n'est cependant pas à jeter, et c'est là que se situe le gros de la frustration. Car BvS a des idées. Des excellentes mêmes. Il y a de l'audace et du jouissif, des petits éclairs de pur plaisir de fan (ou de petit garçon, c'est selon) comme voir Batman et Superman se mettre sur la gu****, ce qui nous est annoncé en fanfare depuis le début du projet. La séquence est diablement réussie, quoiqu'on en dise, mais peine à relever le niveau du reste et pour cause...
À force de vendre l'affrontement entre deux héros, celui entre les deux hommes derrière le masque passe complètement à la trappe. La seule joute verbale entre Bruce Wayne et Clark Kent à laquelle nous avons droit figure intégralement dans le trailer spoiler : un scandale, d'autant que l'échange était prometteur, et qu'explorer un peu plus cet aspect de la confrontation (voire l'explorer tout court en fait) n'aurait en rien démérité sur le projet qui se vante d'en faire son beurre.
La confrontation "à la ville" entre Bruce et Clark était même très attendue. Vu le nombre incroyable de références parmi lesquelles les scénaristes ont pioché allègrement leurs meilleures idées, il est intolérable qu'un des modèles du genre ait été zappé dans les grandes largeurs, à savoir le triptyque World's Finest de la série animée Superman TAS de 1996 où Batman et Superman, en plus de devoir collaborer sous la contrainte, n'ont de cesse de s'envoyer des piques, de se disputer le cœur de Lois.
Là est d'ailleurs l'occasion de faire le point sur les personnages féminins du film et de tirer à boulet rouge sur un défaut récurrent depuis maintenant plus de dix ans (depuis Batman Begins en fait) : l'incapacité des scénaristes à nous pondre des personnages féminins dignes de ce nom, là où Marvel (et ses Avengers) s'en tire haut la main. Alors certes, BvS va prendre pour tous les autres car il n'est pas le seul concerné, mais cela est d'autant plus regrettable qu'il rassemble un certain nombre de personnages féminins et que jamais il ne les honore.
Outre le parallèle entre la mère de Bruce et celle de Clark (qui partagent le même prénom) qui atteint ses limites plus vite que de raison, et à l'exception de Wonder Woman qui est relativement bien amenée, grosse grosse grosse frustration concernant Mercy Graves et la Sénatrice. Ces dernières avaient le potentiel pour redresser le niveau mais disparaissent salement de l'intrigue. Paradoxalement, le personnage de Lois Lane est excessivement présent et il est manifeste que les scénaristes ne savent qu'en faire à part s'en servir comme d'appât à Superman. Ainsi, on n'en est toujours là ? Damned...
Le personnage de Mercy Graves est un prétexte tout trouvé pour évoquer le traitement malhabile du personnage de Lex Luthor, puppet master de la semaine.
Au préalable, vous vous êtes peut-être demandé qui était Mercy Graves, étant donné qu'elle est citée quelques lignes plus haut. Il faut dire que son nom n'est, sauf erreur, pas prononcé une seule fois dans le film. Ou alors jamais complètement. Il s'agit de l'assistante de Lex Luthor. Blonde aux yeux bleus dans la série animée Superman TAS de 1996 à l'occasion de laquelle elle a été créée, elle devient ici une asiatique anorexique qu'on dirait tout droit sortie d'un manga.
Pour la petite histoire, elle est à mi-chemin entre Alfred et Harley Quinn (la petite amie du Joker) mais pour Lex Luthor : la personne à tout faire, fidèle et loyale à son patron, dont elle est éprise et pour qui elle se sacrifierait sans hésiter. Selon les versions, ils se mettent ensemble, elle le trahit et/ou elle se fait lâchement descendre, souvent par Lex Luthor lui-même d'ailleurs, qui ne voit rien d'autre en elle que de la chair à canon.
Ce personnage permet de donner une certaine profondeur à l'univers de Metropolis et à celui de Lex. Dans BvS, c'est là aussi zappé, de manière volontaire et très maladroite. On ne voit jamais les deux personnages interagir et, pour cause, la vision de Lex livrée par Jesse Eisenberg ... n'est en rien Lex Luthor. Elle s'apparente plus à un jeune Joker décalqué de celui de Heath Ledger, coiffure à l’appui, alors même que c'est à l'extrême opposé de ce qu'est Lex Luthor à tout âge : un fin manipulateur fielleux, gentleman, inexpressif, à la limite du flegmatique, doté d'une intelligence impressionnante.
Le Lex qui nous est dépeint dans BvS est admissible de par ses intentions à l'égard de Superman et de son diabolique plan calculé au millimètre près, mais pas de par sa folie contenue (la scène du cocktail) qui est une faute impardonnable. Espérons que la suite (si suite il y a car on peut en douter par moments) saura rectifier le tir, et cette dernière appréciation ne remet en rien en question les talents d'interprète de Jesse Eisenberg qui a le potentiel pour tout jouer.
Concernant le Bruce Wayne/Batman et le Alfred introduits dans ce nouvel univers, respectivement interprétés par Ben Affleck et Jeremy Irons, force est de constater qu'ils s'en tirent avec les honneurs. Le choix "Bat-Affleck" tant décrié à ses débuts s'impose naturellement, de la même manière que Heath Ledger et Daniel Craig pour leurs rôles respectifs du Joker et de James Bond en leur temps malgré les vives contestations des internautes à l'annonce de leur désignation.
Ben Affleck livre un Bruce Wayne encore plus fatigué et névrosé qu'à l'accoutumée à l'inspiration évidente (le célèbre comic The Dark Knight Returns de Frank Miller) tandis que Jeremy Irons compose un Alfred somme toute crédible, à mi-chemin entre la vision des films de Tim Burton et celle de Nolan. On ne peut s'empêcher de penser que la qualité jamais démentie des jeux vidéos Arkham Asylum et Arkham City (sortis en 2009 et 2011) a eu une influence sur l'aspect visuel de ce nouveau Batman dont le costume est une synthèse parfaite de tout ce qui a pu être cousu à ce jour pour le héros.
Pour tout ce qui concerne le casting, à deux trois exceptions près, ça a été assez bien fait, de même que tout ce qui touche au côté technique du film : les couleurs délavées made in Snyder, la réalisation fluide qui (ab)use des ralentis, l'intégration des effets numériques... Sur ce plan, on ne peut qu'applaudir tout le boulot de l'équipe de réalisation qui a fidèlement retranscrit l'ambiance et les couleurs "comics" sur bobine. Tout simplement bluffant... en même temps que c'en devient lourd et indigeste au bout de 2h30.
À cela s'ajoutent les étranges rêves que font certains personnages, et qui sont m'as-tu-vu : au choix, ils n'apportent rien à l'intrigue principale (à part nous rappeler ce que l'on sait déjà) ou bien ils servent à préparer les épisodes suivants. Mais s'il s'agit de ça, c'est particulièrement maladroit et donne le sentiment que les scénaristes prennent les spectateurs pour des idiots si on ne leur met pas l'évidence sous les yeux. Du gros fan-service qui tâche et qui va exaspérer le principal public visé.
À force de ne pas vouloir laisser passer le moustique, le chameau traverse quant à lui à l'aise. Un peu comme le coup du peuple de Krypton qui a conquis de nombreuses planètes et était particulièrement avancé en termes de connaissances scientifiques mais qui a échoué à prédire la destruction de sa planète mère et à trouver une solution de repli autre qu'envoyer un bébé sur Terre (Man Of Steel, c'est de toi qu'on parle !).
L'univers a tout pour être cohérent (ambiance, costumes, effets spéciaux) mais n'est pas aidé par l'histoire et un rythme en dents de scie, un peu comme si l'on avait pris un malin plaisir à faire tout ce qu'il ne fallait pas faire : passer rapidement sur ce qui intéresse le plus (les joutes verbales entre Clark et Bruce) et s'attarder sur du flan (la névrose de Bruce qui aurait mérité mieux que des scènes d'hallucination repompées là aussi de Batman Forever et de ses scènes coupées, le dernier acte tout bonnement interminable et auquel personne ne croit, etc).
Les dix premières minutes du film sont symptomatiques de ce qui ronge le projet à la moelle : de bonnes idées pour ne pas dire excellentes ternies par de petits instants purement "WTF" : l'assassinat des parents Wayne revisité à la sauce Watchmen, le jeune Bruce qui s'envole en même temps que les chauves-souris (?!!), l'affrontement final entre Superman et Zod revu mais à hauteur du badaud...
Même la musique n'est pas aussi désespérante qu'annoncée. Elle saura séduire ceux qui ont été sensibles à la poésie qui se dégageait de la B.O. de Man Of Steel, y compris les anti-Zimmer les plus virulents, en même temps que les amateurs de sons épiques et de percussions électro brutales made in Remote Control Productions.
Mais non ! On nous rajoute toujours le petit truc qui énerve juste derrière, comme le final boursouflé à l'image de cette abomination étrangement ressemblante à celle de L'Incroyable Hulk (2008), visible dès le trailer spoiler.
Il reste quelques petites surprises (le procès), des séquences savamment traitées (en dehors de toute subtilité, bien entendu) et des thématiques intéressantes... mais ce n'est pas assez pour rattraper un flot d'erreurs grossières. À titre de comparaison, The Dark Knight Rises (2012) réussissait mieux son coup alors qu'il traîne lui aussi de belles grosses casseroles (et pas que celle liée à Marion Cotillard).
Bilan :
Batman v. Superman : Dawn Of Justice était une déception quasi-attendue depuis la diffusion du trailer spoiler. Le produit fini rendu public le 23 mars dernier le confirme : un blockbuster inégal recelant de qualités certaines et de séquences jouissives, mais également de défauts impardonnables accentués par la balourdise générale et une incommensurable maladresse qui pouvait être évitée, quoi qu'on en dise. La férocité avec laquelle les critiques mondiales s'attaquent au sujet est bien la preuve, selon les arguments avancés, que l'on pouvait faire mieux sans copier Avengers. Warner et Snyder ont voulu tracer leur propre voie, ce qui mérite l'admiration (nous n'avons pas un “Avengers bis”) mais ils se sont pour l'instant perdus en route. Seuls les films "solo" déjà en préparation (Wonder Woman sort l'an prochain, Suicide Squad cet été) nous diront s'ils ont retrouvé leur chemin avant que la décision ne soit prise d'avorter le projet DCCU en son entier.
Note : 6/10