Scorebob a écrit :Dans ce film encore on retrouve cette idée (saugrenue) du futur qui influe sur le passé pour s'engendrer lui-même alors que les choses comme l'univers en constante expansion vont de l'avant comme l'exploration, soit il y a une destinée (qui est la vision spiritualiste de l'épopée humaine) , soit une marche hasardeuse qui en est la contrepartie pragmatique et rationaliste et implique qu'il se peut qu'il n'y aura pas de d'essor heureux de celle-ci mais seulement le néant avant et le néant après, aucun sens précis, aucune signification nécessaire.
Il faut peut-être penser qu'en faisant un saut dans le passé (en fait Cooper qui en entrant dans un trou noir donne des signes à sa fille et à lui-même pour trouver les coordonner de la base où il devra se rendre pour modifier le destin de l'humanité) ou un saut dans le futur (en fait Cooper, et Brandt, et Doyle qui, en passant par un trou de ver, ne retrouvent pas sur la planète Eau le docteur Miller), il ne s'agit toujours que de modifier le destin de la civilisation humaine ; et qu'il y a donc bien un progrès par adaptation de la civilisation, et non un déterminisme purement physique. Ce qui pourrait plutôt rejoindre l'idée d'un monde infini, d'une évolution générale de l'univers, avec une augmentation de l'entropie, du désordre (puisque le fait de faire des bonds dans le temps transforme le cours réglé de l'univers physique qui n'est donc pas fini et statique avec une même quantité d'énergie immuable). Cependant ce "destin aménagé" de la civilisation humaine n'émane pas d'une quelconque volonté spirituelle de l'humanité, il ne s'agit que de l'instinct biologique de l'espèce qui répond spontanément aux stimulations du milieu, et il y a bien, je suppose, derrière tout cela, l'idée que la vie est orientée vers un but, et que la civilisation humaine va progressivement vers un perfectionnement. En somme, d'ailleurs, c'est un film qui repose à la fois sur les sciences physiques et les sciences biologiques avec cette irrésistible pression du vivant à trouver les ressources (en l'occurrence chez l'homme en employant les moyens techno-scientifiques) pour s'adapter à son milieu. Je remarque au passage, du coup, que je ne saurais trancher pour dire avec certitude s'il y a ici un hasard ou une finalité dans la conception de l'évolution biologique : si au final la famille Cooper a pu réaliser le dessein de la survie de l'espèce, elle aurait pu peut-être échouer ; je ne sais pas si le film est plus d'un côté finaliste type Lamarck ou plus d'un côté "mécanique" par conjonction de causes accidentelles type Darwin. A priori, je dirais plus Lamarck cependant, au sens où l'espèce humaine est emportée par un but biologique, réalise ce but en ayant acquis davantage de complexification.
Scorebob a écrit :Scénario trop déprimant sans doute, alors plutôt que de verser dans le spiritualisme "convenu" du cinéma de SF des années 50 à 70 on s'invente un avenir reposant entièrement sur une science en constante progression qui finira par corriger les erreurs de trajectoire du passé en intervenant dans le passé, mais les fantômes sont toujours ceux du passé parce que l'on est hanté que par ce que nous avons vécu ou ce dont on a hérité, jusqu'à plus ample informée, le progrès consistant a arriver à en sortir en osant les affronter et s'en dépouiller. On apprend aussi par ses erreurs.
Il est clair que dans "Interstellar" l'optique n'est pas spiritualiste (à moins de spiritualiser le vivant en parlant d'une force vitale spirituelle, je ne sais pas si Nolan tombe dans cet écart métaphysique, quoique !), c'est bien la science qui est au service de l'effort biologique, et effectivement il est naturel que la vie apprenne de ses erreurs et veuille les corriger, et c'est pour cela qu'il y a bien une évolution naturelle (non dans le cadre purement physique mais biologique, car c'est la vie qui est progrès et non la matière purement physique qui n'est qu'un moyen pour la vie d'évoluer). Pour ma part, la "déprime" viendrait plutôt du fait que l'homme est réduit à un vivant, et qu'il n'y a pas réellement en lui d'opposition spirituelle et morale à cette tendance biologique de la survie de l'espèce par adaptation techno-scientifique.
Il n'y a en définitive pour moi (en synthétisant à titre récapitulatif) que deux lectures interprétatives possibles de ce film :
- Soit le film ne fait pas sens, et la meilleure compréhension qu'on puisse en avoir est de dire « je ne comprends rien ». L'opposition sera ici intellectuelle. En effet, si le sens est de dire que c'est l'amour qui sauvera le monde contre la science qui réduit tout au physique (même les fantômes. Je ne crois certes pas aux fantômes, mais la spécificité du paranormal est de parler quand même d'esprits purs qui n'ont rien à voir avec une autre dimension parallèle physique. Le monde des esprits est un monde au-delà du physique, et aux confins de la science. Et si on prétend que les esprits frappeurs sont des êtres physiques appartenant à une autre dimension, alors on fait du paranormal une science avérée, et des fantômes des êtres physiques), alors le sens se contredit lui-même, puisque l'amour, les sentiments, le psychique, etc. sont bien conçus comme observables, quantifiables, rationalisables. Donc il ne peut y avoir d'amour pur, de sentiments purs, d'esprits purs ; et cela rejoint d'ailleurs le sarcasme de Cooper qui dit que la relation père-fils ou les relations sociales sont intéressées, et ont un fondement physique, et plus exactement biologique donc (le fils Tom qui reprendra la ferme de la famille, la fille âgée Murphy qui insistera sur le rôle du père dans les découvertes astrophysiques dans le nom donné à la station en orbite de Saturne : ici, il s'agit toujours de l'intérêt et du « prestige » de la famille Cooper dans la réalisation de la survie de l'espèce humaine - voilà d'ailleurs pourquoi il faut être ingénieur de la Nasa plus que fermier, car cela est plus utile pour l'espèce biologique -, le professeur John Brand qui envoie sa fille Amelia dans une mission qu'il sait suicide pour sauver éventuellement l'espèce humaine en retrouvant Edmunds, etc.). Il n'y pas d'amour là-dedans, il n'y a que des intérêts en jeu, des communications synaptiques qui représentent l'instinct de survie de l'espèce biologique humaine. Alors soit on parle d'amour réel, et on y croit, et dans ce cas tout discours faisant de l'amour une « information mesurable cérébrale » ou une « pression biologique de l'espèce » doit être exclu de la cohérence du récit. Si on maintient les deux discours ensemble, le film est contradictoire, ne fait pas sens et on ne peut le comprendre. Soit, deuxième lecture, il n'y a pas d'amour, il n'y a que la science et la pression biologique de l'espèce ; et c'est la deuxième interprétation.
- Soit le film fait bien sens, en assumant totalement cette réduction du spirituel au physique et au physiologique (la foi, c'est la science ; le cœur, c'est le cerveau), en assumant le fait que le paranormal soit une science (car faire des esprits des êtres physiques, c'est bien prétendre cela, et faire des fantômes des objets possibles d'observation et d'expérimentation, ainsi que certains charlatans du paranormal le soutiennent, revient à infiltrer la science dans un domaine qui ne peut et ne doit être le sien) et en assumant le fait que les sentiments spirituels humains ne soient que des influx cérébraux ou des pressions génétiques de l'espèce humaine. Si c'est effectivement bien le cas, et qu'il y ait bien ce sens, la meilleure compréhension que je puisse en faire pour moi est de dire « je ne veux pas comprendre ». L'opposition, me concernant, sera ici psychologique et morale. Et celui qui incarne au mieux justement ce sens n'est autre que le docteur Mann, avec le dialogue « lisible » avec Cooper sur la planète de Glace. Il est en effet ici fait l'apologie de l'instinct de survie et de l'instinct de développement de l'espèce humaine. Car après la relativité, c'est bien la science génétique qui est professée. Les expériences de « mort imminente » avec les images de nos morts revenant à l'esprit sont conçues « génétiquement » ou « physiquement » comme les ultimes démonstrations de cette survie de l'espèce : l'agonisant se raccrocherait cérébralement à ses enfants, car il devrait toujours vivre pour eux, et ceci pour les épauler dans la vie. D'après « la recherche » donc (nous dit Mann, comme quoi, tout dans ce film se raccroche toujours au « scientifiquement prouvé », et il y a bien une prétention à dire que la science a raison), les expériences de mort imminente ne seraient que l'illustration de cet instinct de survie pour l'espèce, pour sa filiation génétique. Ce qui ôte bien entendu toute dimension spirituelle, désintéressée à l'amour, à la tendresse, à l'amitié, etc. Tous les sentiments humains relèveraient des lois biologiques de l'espèce humaine : instinct de survie de l'espèce ou encore instinct grégaire (« le désir d'être avec ses semblables est à la base du sentiment qui fait de nous des êtres humains » dit bien Mann). D'ailleurs le mal dans cette séquence de confrontation entre Mann et Cooper provient justement de la préférence que l'on accorde à son instinct individuel de survie contre l'instinct de survie de l'espèce. La morale ne serait donc ni plus ni moins que le sacrifie de son individualité pour l'espèce génétique. Et voilà pourquoi Mann est l'incarnation du mal : il voulait survivre en continuant à émettre, même s'il savait que la planète de Glace était inhabitable. Lorsque Mann dit à Cooper après avoir tenté de le tuer « sentez-vous cet instinct de survie individuel en vous ? », il ne lui pas autre chose que « sentez-vous le mal en vous ? » c'est-à-dire la préférence de l'individu sur l'espèce. Outre cela, il y a même la thématique implicite de la procréation artificielle (comme quoi le film brasse toutes les préoccupations de notre temps) ou de la fécondation in vitro ou de l'utilisation des « bébés-éprouvettes » dans une perspective de repeuplement. Le film ne se pose jamais la question morale de la manipulation des « œufs humains », et ceci pour une bonne raison : tout le discours est articulé autour de la survie biologique de l'espèce humaine, et non de la dignité morale de l'individu. L'individu n'importe jamais, c'est l'espèce qui importe, et que des enfants naissent plus tard sans filiation, sans parents, sans identité, avec peut-être d'ailleurs un patrimoine génétique sélectionné (car on ne dit pas un mot sur cela : y a-t-il eu sélection des « œufs humains » ? Et derrière cela une volonté eugéniste ? On pourrait parfaitement le penser, puisque ce serait dans l'intérêt de l'espèce que les générations à venir soient plus performantes génétiquement que les précédentes), cela n'a guère importance. La morale est toute entière, dans ce film, réduite à la préférence génétique de l'espèce humaine sur l'individu. Autrement dit, tout dans ce film établit une réduction claire de la morale au biologique et du psychique au physique. Et le pire dans tout cela, c'est que le spectateur ne peut le voir et ceci, je pense, en raison de la trop grande quantité de discours "scientifiques" assénés et de la cohue des images et des effets.
À tout prendre, entre « je ne comprends pas » et le « je ne veux pas comprendre », personnellement « je ne veux pas comprendre », car je pense que le film a en réalité bien un sens, et que ce sens relève de la négation de l'humanité (avec une réduction de l'homme à un simple corps vivant ; idée qui est devenue aujourd'hui matriciellement idéologique), et c'est pourquoi, en définitive, après coup, et après réflexion, je n'ai pu ressentir aucune émotion.