HARD RAIN (1998)
PLUIE D’ENFER
Compositeur : Christopher Young
Durée : 76:42 | 34 pistes
Éditeur : La-La Land Records




La mine de Mikael Salomon devait être bien blafarde quand il réalisa l’ampleur de la tâche diluvienne qui l’attendait en s’attelant au script de Graham Yost. Ce dernier sortait de deux gros succès avec Broken Arrow et Speed et le scénariste avait en effet vu grand : une petite ville américaine en proie à des trombes d’eau depuis des heures, un barrage en amont qui menace de céder, des courses-poursuites en jet ski (!!!) au beau milieu des rues de la ville, un convoyeur de fond jusqu’au-boutiste façon John McClane (incarné par un Christian Slater très impliqué, allant jusqu’à produire le film lui-même), un gang de bras cassés mené par un Morgan Freeman au jeu minimaliste mais déterminé et un chef de la police locale qui décide que, lui aussi, après tout, mériterait bien le droit d’avoir une part du butin sur lequel le gang veut poser la main. Voilà bien tous les ingrédients supposément réunis pour faire de cette petite série B d’action un beau succès en salles. Et pourtant, au box-office, le film a fait plouf. Est-ce inexplicable ? Oui et non. Oui, parce que le film est plutôt bien réalisé (Salomon ayant été le chef opérateur principal sur Abyss de James Cameron qui lui aura fait boire le calice jusqu’à la lie), s’appuyant sur des effets spéciaux « à l’ancienne » sans abuser des CGI qui pointaient déjà le bout de leur nez. Il possède derechef une brochette de « gueules » qui font le boulot (mention spéciale au toujours excellent Randy Quaid en policier cynique et retors à la limite du cabotinage). Et non parce que, paradoxalement, la plupart des scènes d’action ne parviennent pas à transmettre un sentiment d’urgence. Elles ont lieu dans un milieu aquatique qui a tendance, par nature, à tout ralentir (pas facile d’évoluer avec aisance quand, pendant la moitié du film, vous avez de l’eau jusqu’au torse). Et pourtant, des situations rocambolesques, il y en a. Des retournements (prévisibles) émaillent le récit pour lui donner un peu de densité. Mais rien n’y fait. Comme le prochain rouleau de mer qui se délite en bord de plage, on voit tout venir bien trop à l’avance. Néanmoins, le film se suit sans déplaisir et possède, rétrospectivement, le charme aujourd’hui disparu des productions réalisées avec soin et sans esbrouffe excessive. Cette patine, le plaisir simple ressenti à la vision du film, on les doit en grande partie à la partition survitaminée, très largement orchestrale, d’un Christopher Young, certes, pas forcément connu jusqu’ici pour ses scores d’action, mais qui déploie une énergie assez jouissive sur certaines séquences, à l’instar d’un Goldsmith conscient des faiblesses du film sur lequel il travaille.
La partition de Young flotte autour d’un thème-motif de cinq notes qui s’étend parfois, au gré des besoins des séquences, sur quatre mesures à quatre temps, parfois accompagné par l’harmonica du légendaire Toots Thielemann pour personnifier tout à la fois le caractère tranquille de la petite bourgade et le côté nonchalant du bad guy principal. Si la structure semble classique, elle laisse aussi la place à des morceaux comme Church Chase, par exemple, construit sur un tempo à 120 bpm, qui a dû produire de grosses gouttes sur le front des cuivres et des cordes, accompagnés par un déploiement de percussions acoustiques et électroniques qui ferait pâlir d’envie les « jeunes » compositeurs d’aujourd’hui confondant bien trop souvent efficacité et martellement. La référence principale, qui visiblement ne saute pas aux oreilles de Christian Clemmensen du site FilmTracks qui voit dans le score de Young un croisement entre Goldsmith et Zimmer mâtiné de Broughton (???), est clairement à aller chercher du côté de James Horner. D’une part parce que Chris Young n’a jamais caché son admiration pour le compositeur de Titanic, depuis toujours, et d’autre part parce que le premier film réalisé par Mikael Salomon était A Far Off Place (Kalahari) qui possédait une jolie partition de James Horner. Cela est particulièrement évident dans des morceaux d’action d’une grande virtuosité comme The Jail Cell où Young rend un hommage rythmique au chef d’œuvre musical qu’est Aliens. La « filiation » zimmerienne ne pourrait éventuellement être entendable que dans l’utilisation (parcimonieuse) de percussions électroniques, mais nullement en termes d’inventivité rythmique et de richesse harmonique ! S’il fallait le démontrer plus d’une fois, il suffirait simplement d’aller se rincer les oreilles avec l’impressionnant Kenny Gets Zapped qui pousse les figures rythmiques dans un quasi-constant déséquilibre jubilatoire (dont Zimmer serait bien incapable), ou d’aller se repaitre des coups d’enclume de Wayne’s Fantasy.
Les morceaux de bravoure de ce score (édité par Milan Records au temps de la sortie du film en salles, puis repressé en version augmentée chez La-La Land Records dans un tirage limité à 1000 exemplaires en 2021) sont légion. Et en faire le tour relèverait d’une entreprise à faire passer l’évidement du tonneau des Danaïdes pour un jeu d’enfant. On peut cependant noter parmi les titres les plus emblématiques, outre ceux déjà cités, The Church Attack qui distille une gestion de l’action et du suspens avec un matériau très basique « à la Herrmann » dans une superbe alternance de crescendo et decrescendo sur deux notes qui revient ensuite à une figure agressive du plus bel effet. Impossible non plus de passer sous silence l’un des clous de l’album avec The Jet Ski Chase qui permet à Young de marier son goût prononcé pour la dissonance bartokienne avec de l’action débridée qui force le respect rien que sur l’agencement de ses ostinati. Impossible également de noyer dans la masse le triomphant Jim Saves The Day et son retour galvanisant du motif à cinq notes. Si l’on devait reprocher quelque chose à Young sur ce score, et encore, il ne s’agit sans doute pas de sa propre volonté, ce serait que sa partition ne se termine pas sur un bang qui aurait été probablement approprié, mais sur un Jim Leaves qui voit Morgan Freeman quitter les lieux en ramant dans sa petite barque, agrippant au passage un des petits sacs en cuir contenant une partie de l’argent tant convoité depuis le début. On a connu fin plus ambitieuse. Mais le métrage est ainsi conçu et Young devra se contenter, sur cette dernière séquence, de boire la tasse tiède alors qu’il n’aura eu de cesse de déchainer un tsunami d’action pour aider le film à garder la tête hors de l’eau.
Un merci tout spécial à Jean-Baptiste Mater.